Loi, Réel, Angoisse, Signifiant, 1963

Cette obstination, patente dans l'évolution des doctrines morales, à asseoir la Loi sur l'autonomie du sujet, confine au mythe et en tout cas révèle un mécanisme de défense... contre l'hétéronomie radicale de la loi, justement, en tant qu'elle provient du réel... Ce réel qui, lorsqu'il intervient, détermine le refoulement, soit l'effacement de la trace originelle au moyen du signifiant. Le signifiant tente alors de faire Loi. Mais refoulement et retour du refoulé n'étant qu'un, c'est justement le retour du signifiant à l'état de trace, de trace du réel, qui pose problème, voire qui fait symptôme. Dans le cas de l'angoisse, le réel intervient à nouveau : rien d'autre que cette présence palpable du désir, en tant qu'identique à la Loi - sinon son approche ne causerait pas l'angoisse.


"J’insiste sur ceci : qu’elle [la Loi morale] provient de ce que j’appelle le réel. Ce que j’appelle le réel en tant qu’il intervient, qu’il intervient quand il intervient, essentiellement comme Freud nous le dit, à savoir en élidant le sujet, en déterminant, de par son intervention même, ce qu’on appelle le refoulement... Ce dont il s’agit est non pas l’effacement des traces mais le retour du signifiant à l’état de traces, l’abolition de ce passage de la trace au signifiant qui est constituée par ce que j’ai essayé de vous faire sentir, de vous décrire par une mise entre parenthèses de la trace, un soulignage, un barrage, une marque de la trace. C’est ça qui saute avec l’intervention du réel. Le réel renvoyant le sujet à la trace, abolit aussi le sujet du même coup, car il n’y а de sujet que par le signifiant."
LACAN, S.X, 27/02/1963

Désir, Loi, Perversion, Névrose, 1963

"Le désir, c'est la loi" (celle qui aboutit à l'interdiction de l'inceste), cela vaut également pour le pervers, qui loin d'être livré à une jouissance sans limite s'applique à la mise en oeuvre d'une Loi fonctionnant comme mécanisme de défense, justement pour l'en détourner. Disons qu'il s'applique, presque vertueusement, à la jouissance de l'Autre, au nom d'une volonté universelle de jouir (ayant force de Loi) qui ne peut que faillir en pratique. Cela vaut bien entendu pour le névrosé qui convoque une telle loi du désir pour mieux l'expériencer, soit sur le mode de insatisfaction (hystérique) soit sur celui de impossibilité (obsessionnel).


"Le désir donc, c’est la Loi. Ce n’est pas seulement que, dans la doctrine analytique, avec son corps central de l’Œdipisme, il est clair que ce qui fait la substance de la Loi, c’est ce désir pour la mère, qu’inversement ce qui normative le désir lui-même, ce qui le situe comme désir, c’est la loi dite « interdiction de l’inceste »."
LACAN, S.X, 27/02/1963

Angoisse, Désir, Cause, Analyse, 1963

L'angoisse signale au sujet - au niveau sensible du moi - la présence du désir de l'Autre. Le désir en tant que, détaché du besoin, il peut en vouloir à mon être, le mettre en question. Ce serait commode si, comme l'imagine Hegel, le désir avait pour seule logique de me reconnaître au-delà de l'objet ; mais non, il me remet en cause, m'interroge au niveau de mon propre désir, justement au niveau de sa cause. Il me projette dans cette dimension temporelle de la cause du désir, m'engageant certes dans l'épreuve de l'angoisse, mais possiblement aussi dans l'épreuve de l'analyse, puisqu'elle n'est pas sans angoisse, étant donné le rôle pivot du désir de l'analyste.


"C’est cela qui est l’angoisse : le désir de l’Autre ne me reconnaît pas comme le croit Hegel - ce qui rend la question bien facile, car s’il me reconnaît, comme il ne me reconnaîtra jamais suffisamment, je n’ai qu’à user de violence - donc, il ne me reconnaît ni ne me méconnaît..., il me met en cause, m’interroge à la racine même de mon désir à moi, comme (а), comme cause de ce désir et non comme objet. Et c’est parce que c’est là qu’il vise, dans un rapport d’antécédence, dans un rapport  temporel, que je ne puis rien faire pour rompre cette prise, sauf à m’y engager. C’est cette dimension temporelle qui est l’angoisse, et c’est cette dimension temporelle qui est celle de l’analyse. C’est parce que le désir de l’analyste suscite en moi cette dimension de l’attente que je suis pris dans ce quelque chose qui est l’efficace de l’analyse."
LACAN, S.X, 27/02/1963

Manque, Objet a, Symbolique, Réel, 1963

Si "l'angoisse n'est pas sans objet", comme y insiste Lacan, c'est de nous introduire à la fonction d'un manque radical. Bien qu'il affecte le réel le manque n'est saisissable que par le biais du symbolique, c'est toujours un symbole qui désigne une absence et qui tente d'y suppléer (par exemple la femme n'est "privée" du pénis qu'en tant que celui-ci est doté d'une valeur symbolique, et l'on parle alors du phallus - mais la privation, elle, est bien réelle). Un manque réel qui est de l'ordre de la perte comme l'énonce Lacan en ces termes : « Dès que ça se sait, que quelque chose vient au savoir du réel, il y a quelque chose de perdu, et la façon la plus certaine d’approcher ce quelque chose de perdu, c’est de le concevoir comme un morceau de corps. » Or cette pièce manquante - l'objet (a) pour Lacan - le symbolique n'y supplée pas vraiment, puisqu'elle est, comme telle, la contre-partie du symbolique : elle est donc irréductible.


"Le manque est radical, il est radical à la constitution même de la subjectivité telle qu’elle nous apparaît par la voie de l’expérience analytique. Ce que, si vous le voulez, j’aimerais énoncer en cette formule : « Dès que ça se sait, que quelque chose vient au savoir du réel, il y a quelque chose de perdu, et la façon la plus certaine d’approcher ce quelque chose de perdu, c’est de le concevoir comme un morceau de corps.»... D’où il résulte - autre vérité - que nous pourrions dire que tout le tournant de notre expérience repose sur ceci : que le rapport à l’Autre en tant qu’il est ce où se situe toute possibilité de symbolisation et de lieu du discours, rejoint un vice de structure, et qu’il nous faut - c’est le pas de plus - concevoir que nous touchons là, à ce qui rend possible ce rapport à l’Autre, c’est-à-dire ce d’où surgit qu’il y a du signifiant. Ce point d’où surgit qu’il y a du signifiant est celui, qui en un sens, ne saurait être signifié."
LACAN, S.X, 23/01/1963

Acting-out, Objet a, Autre, Symptôme, 1963

L'acting-out s'adresse à l'Autre, auquel le sujet montre quelque chose... d'autre. Dans le cas de la "jeune homosexuelle", Freud nous dit « Elle aurait voulu un enfant du père ». Et c'est bien ce foetus abandonné qu'elle devient - aux yeux de tous - en se jetant sur les rails : exhibant son désir ou ce qu'il en reste, sa cause même, l'objet (a) dans sa chute. L'acting-out s'offre à l'interprétation de l'Autre de façon beaucoup plus directe que le symptôme, il n'existe même que pour être interprété - comme une amorce de transfert sans analyse - là où le symptôme est autonome dans sa jouissance, bien qu'il ne puisse être interprété que sous transfert.


"Dans sa nature, le symptôme n’est pas, comme l’acting-out : appelant l’interprétation, car - on l’oublie trop - ce que nous découvrons dans le symptôme, ce que l’analyse y découvre, c’est : – que le symptôme - dans son essence - n’est pas appel, dis-je, à l’Autre, n’est pas ce qui montre à l’Autre, – que le symptôme dans sa nature est jouissance, ne l’oubliez pas, jouissance fourrée, sans doute, untergebliebene Befriedigung. Le symptôme n’a pas besoin de vous comme l’acting-out, il se suffit... À la différence du symptôme donc, l’acting-out, lui, eh bien c’est l’amorce du transfert, c’est le transfert sauvage. Ιl n’y a pas besoin d’analyse, vous vous en doutez, pour qu’il y ait transfert : – le transfert sans analyse, c’est l’acting-out, – l’acting-out sans analyse, c’est le transfert... Quand vous regardez les choses de près, la plupart du temps vous vous apercevez que le sujet sait fort bien que ce qu’il fait c’est pour s’offrir à votre interprétation dans l’acting-out. Seulement voilà, ça n’est pas le sens de ce que vous interpréterez, quel qu’il soit, qui compte, c’est le reste."
LACAN, S.X, 23/01/1963

Dépersonnalisation, Autre, Moi-idéal, Angoisse, 1963

"Dépersonnalisation", pour impropre qu'il soit, ce terme témoigne effectivement d'une expérience de dépossession telle que, dans la relation spéculaire, la relation à l'Autre assurant la reconnaissance de l'image comme moi idéal vient à faire défaut. "C'est parce que ce qui est vu dans le miroir est angoissant que cela n'est pas proposable à la reconnaissance de l'Autre" précise Lacan.


"Une autre relation s'établit dont il est trop captif pour que ce mouvement soit possible. Ici la relation duelle pure dépossède - ce sentiment de relation de dépossession marqué par les cliniciens dans la psychose - dépossède le sujet de cette relation au grand Autre. La spécularisation est étrange, « odd » comme disent les Anglais, impaire, hors symétrie : c'est le Horla de Maupassant, le hors-l'espace, en tant que l'espace c'est la dimension du superposable."
LACAN, S.X, 23/01/1963

Objet a, Autre, Reste, Sujet, 1963

L'objet (a) est nommé tel pour deux raisons : 1) par identité algébrique avec le grand Autre, étant ce qui "se constitue dans le rapport du sujet à l’Autre comme reste", 2) par identification régressive (ironiquement) à « ce qu’on n’a plus »...


"Il est essentiel de comprendre que c’est de cet Autre qu’il [l'objet a] prend son isolement, qu’il se constitue dans le rapport du sujet à l’Autre comme reste... Le sujet, tout en haut à droite, en tant que par notre dialectique, il prend son départ de la fonction du signifiant,      le sujet S, hypothétique, à l’origine de cette dialectique, se constitue au lieu de l’Autre comme marqué du signifiant, seul sujet où accède notre expérience. Inversement suspendant toute l’existence de l’Autre à une garantie qui manque : l’Autre barré. Mais de cette opération, il y a un reste, c’est le (a)... 

Ce (a) s’appelle (a) dans notre discours, non seulement pour la fonction d’identité algébrique que nous avons précisée l’autre jour, mais si je puis dire - humoristiquement - pour ce que c’est « ce qu’on n’a plus ». C’est pourquoi on peut le retrouver par voie régressive sous forme d’identification, c’est-à-dire à l’être ce (a), ce qu’on n’a plus..."
LACAN, S.X, 23/01/1963