Objet a, Pulsion, Obsession, Autre, 1963

Etayant la relation de dépendance originelle du sujet à l'Autre, Lacan distingue formellement (et non génétiquement) 5 étages dans la constitution de l'objet (a). Au niveau du rapport à l'objet oral, correspond le besoin dans l'Autre (il n'y a pas de "sujet du besoin" initial, Lacan rappelle que la mamelle fait d'abord partie du monde intérieur du sujet, enjeu certes vital, mais le "besoin de relation" vient de l'Autre). Pour le rapport à l'objet anal, nous avons en face la demande dans l'Autre, demande éducative par excellence, dont l'objet fécal constitue le reste et la chute. Ensuite, la relation génitale se présente comme rapport au manque comme tel, noté -ϕ, qui donne sa tonalité sexuelle à l'ensemble de la vie pulsionnelle, et à tous les autres objets (a) : lui correspond la jouissance dans l'Autre, supposée. A l'étage scopique, typiquement celui du fantasme, correspond la puissance dans l'Autre, soit un parangon de possession évidemment illusoire. A l'étage supérieur de la voix, reçue comme commandement, se tient en face le désir dans l'Autre. C'est ce désir - essentiellement refoulé - qui génère l'angoisse, exemplairement chez l'obsessionnel : il y répond en forçant sur la demande, en forçant l'Autre à lui demander (comme si le désir pouvait se demander), de sorte qu'il s'en tient à la relation anale pour se protéger de toute relation de désir.


 

"C'est dans la mesure du retour de ce désir dans l'Autre, en tant qu'il est chez lui essentiellement refoulé, que tout est commandé dans la symptomatologie de l'obsessionnel, et nommément dans les symptômes où la dimension de la cause est entraperçue comme Angst. La solution, on la connaît aussi dans le phénomène : pour couvrir le désir de l'Autre, l'obsessionnel a une voie, c'est le recours à sa demande. Observez un obsessionnel dans son comportement biographique, ce que j'ai appelé tout à l'heure « ses tentatives de passage » à l'endroit du désir. Ses tentatives, fussent-elles les plus audacieuses, elles sont toujours marquées d'une condamnation originelle à rejoindre leur but. Si raffinées, si compliquées, si luxuriantes et si perverses que soient ses tentatives de passage, il lui faut toujours se les faire autoriser, il faut que l'Autre lui demande ça... C’est, dans la mesure où l’évitement de l’obsessionnel est la couverture du désir dans l’Autre par la demande dans l’Autre, c’est dans cette mesure que (a), l’objet de la cause, vient se situer là où la demande domine, c’est-à-dire au stade anal où (a) est, non pas seulement l’excrément purement et simplement comme ça : c’est l’excrément en tant que demandé."
LACAN, S.X, 12/05/1963

Objet a, Symptôme, Cause, Angoisse, 1963

Rappelons que l'objet (a) n'est pas l'objet du désir, mais sa cause. Il est également impliqué dans l'angoisse dont Lacan dit qu'elle est la sensation du désir de l'Autre, et de l'abyssale dépendance du sujet par rapport à ce désir. N'oublions pas que l'objet est présent dès la constitution du sujet au lieu de l’Autre, division signifiante dont il est, proprement, le reste. Dans le cas de l'obsessionnel, l'une des fonctions du symptôme est précisément de différer l'angoisse : d'ailleurs elle ne manque pas de s'inviter à la première occasion, au premier raté de la mécanique compulsionnelle. Quel rapport entre le symptôme, l'objet et la cause ? Le symptôme est identifié comme tel par le sujet névrosé, dès lors qu'il est capable de se formuler que "quelque chose cloche" et donc qu'"il y a une cause à tout ça" : c'est bien ce qui l'amène en analyse (il ne sait pas encore qu'il s'agit de cet énigmatique (a)). Au niveau du symptôme, c'est évidemment la cause qui pose question, une question dont le résultat serait précisément le symptôme. Tandis que l'effet, précise Lacan, serait le désir... mais en tant que non effectué, puisque c'est lui qui reste à conquérir. Tant que le gap entre la cause et l'effet subsiste, le désir existe aussi - il n'y a que la science pour imaginer que le gap puisse être comblé.


"Dans toute avancée, dans tout avènement de ce petit(a) comme tel, l’angoisse apparaît justement en fonction de son rapport au désir de l’Autre. Mais son rapport au désir du sujet, quel est-il ? Il est situable sous la formule que j’ai avancée en son temps : petit(a) n’est pas « l’objet » du désir, celui que nous cherchons à révéler dans l’analyse, il en est « la cause ». Ce trait est essentiel, car si l’angoisse marque la dépendance de toute constitution du sujet, sa dépendance de l’Autre, avec un grand A le désir du sujet se trouve donc appendu à cette relation par l’intermédiaire de la constitution première, antécédente du petit(a)... Cette fonction est repérable dans les données premières de notre champ, celui sur lequel s’engage la recherche, c’est à savoir le champ du symptôme...
Petit(a), nous l’avons défini comme le reste de la constitution du sujet au lieu de l’Autre, en tant qu’il a à se constituer en sujet barré. Si le symptôme est ce que nous disons, c’est-à-dire tout entier implicable dans ce processus de la constitution du sujet en tant qu’il a à se faire au lieu de l’Autre, l’implication de la cause dans l’avènement symptomatique, tel que je vous l’ai défini tout à l’heure, fait partie légitime de cet avènement. Ceci veut dire que la cause, impliquée dans la question du symptôme, est littéralement, si vous le voulez, une question, mais dont le symptôme n’est pas l’effet, il en est le résultat. L’effet, c’est le désir."
LACAN, S.X, 12/05/1963

Voix, Autre, Angoisse, Désir, 1963

La voix résonne depuis le vide de l'Autre (ex-nihilo) et ne peut être reçue, pour cette raison, qu'à être incorporée. Il s'agit d'une identification à part entière et spécifique, la première évoquée par Freud. La voix comme telle, c'est-à-dire articulée et non modulée, est signifiante, disons même impérative "en tant qu’elle réclame obéissance ou conviction". A signifier ainsi le désir de l'Autre, elle ne peut que susciter l'angoisse ; dont la résolution est la culpabilité ou le pardon, une fois reçu le commandement et surtout reconnue la "faute", la faute c'est-à-dire le manque inhérent à tout désir.


"Si la voix, au sens où nous l’entendons, a une importance, ce n’est pas de résonner dans aucun vide spatial, c’est pour autant que la forme, la plus simple émission dans ce qu’on appelle linguistiquement sa fonction phatique - qu’on croit être de la simple  prise de contact et qui est bien autre chose  - résonne dans un vide qui est le vide de l’Autre comme tel, l’ex-nihilo à proprement parler... La voix répond à ce qui se dit, mais elle ne peut pas en répondre. Autrement dit, pour qu’elle réponde, nous devons incorporer la voix comme l’altérité de ce qui se dit. C’est bien pour cela, et non pour autre chose, que détachée de nous, notre voix nous apparaît avec un son étranger. Il est de la structure de l’Autre de constituer un certain vide : le vide de son manque de garantie. La vérité entre dans le monde avec le signifiant et avant tout contrôle, elle s’éprouve, elle se renvoie seulement par ses échos dans le réel. Or, c’est dans ce vide que la voix - en tant que distincte des sonorités, voix non pas modulée, mais articulée - résonne."
LACAN, S.X, 05/05/1963

Phallus, Sexualité, Angoisse, Jouissance, 1963

Entre l'homme et la femme, en tant qu'êtres sexués, il ne saurait y avoir de rencontre, sauf par l'intermédiaire de ce qui leur manque à tous les deux, à savoir le phallus. Or celui-ci ne se trouve jamais là où d'abord on l'attend, justement dans la relation génitale, où ce qui en tient lieu ne peut que s'avérer défaillant. "Voilà, dit Lacan, ce qui explique que l’angoisse est la vérité de la sexualité, c’est-à-dire ce qui apparaît chaque fois que son flux se retire, montre le sable. La castration est le prix de cette structure, elle se substitue à cette vérité." L'angoisse rend palpable, chez le sujet, l'impossible synthèse, disons même l'alternative du désir et de la jouissance. Du fait même de son manque, localement de son impuissance, le phallus se montre omniprésent et d'autant plus sous le signe de la puissance - voire de la toute-puissance - partout où il n'est pas en situation explicitement sexuelle, accréditant une "confusion de la jouissance avec les instruments de la puissance" remarque Lacan. Donc, ce support du désir qu'est le phallus n'est pas fait pour réaliser l'union sexuelle : chacun reste séparé de l'autre, du fait même que, par la médiation phallique, il lui est strictement substituable. L'homme, pour rencontrer l'autre, en l'occurrence la femme, doit renoncer au phallus ; ou bien, dans son désir de toute puissance, il peut assimiler sa partenaire au phallus, mais alors il doit renoncer à la femme. Quant à la femme, précise Lacan, "elle ne peut prendre le phallus que pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire : soit petit(a), l’objet, soit son trop petit ϕ à elle, qui ne lui donne qu’une jouissance approchée de ce qu’elle imagine de la jouissance de l’Autre."


"Que le phallus ne se trouve pas là où on l’attend, là où on l’exige, à savoir sur le plan de la médiation génitale, voilà ce qui explique que l’angoisse est la vérité de la sexualité, c’est-à-dire ce qui apparaît chaque fois que son flux se retire, montre le sable. La castration est le prix de cette structure, elle se substitue à cette vérité...
Le phallus, là où il est attendu comme sexuel, n’apparaît jamais que comme manque, et c’est cela son lien avec l’angoisse. Et tout ceci veut dire que le phallus est appelé à fonctionner comme instrument de la puissance. Or la puissance, je veux dire ce dont il s’agit quand nous parlons de puissance, quand nous en parlons d’une façon qui vacille, de ce dont il s’agit car c’est toujours à la « toute-puissance » que nous nous référons, or ce n’est pas de cela qu’il s’agit : la toute-puissance est déjà le glissement, l’évasion, par rapport à ce point où toute puissance défaille. On ne demande pas à la puissance d’être partout, on lui demande d’être là où elle est présente. C’est justement parce que là où elle est attendue elle défaille, que nous commençons à fomenter la « toute-puissance ». Autrement dit le phallus est présent, il est présent partout où il n’est pas en situation. Car c’est la face qui nous permet de percer cette illusion de la revendication engendrée par la castration, en tant qu’elle couvre l’angoisse présentifiée par toute actualisation de la jouissance : c’est cette confusion de la jouissance avec les instruments de la puissance. L’impuissance humaine, avec le progrès des institutions, devient mieux que cet état de sa misère fondamentale, elle se constitue en profession, j’entends « profession » dans  tous les sens du mot, depuis le sens « profession de foi » jusqu’au terme, à la visée, que nous trouvons dans « l’idéal professionnel ». Tout ce qui s’abrite derrière la dignité de toute « profession », c’est toujours ce manque central qui est impuissance. L’impuissance, si l’on peut dire, dans sa formule la plus générale, c’est celle qui voue l’homme à ne pouvoir jouir que de son rapport au support de +ϕ, c’est-à-dire d’une  puissance trompeuse...
Le support du désir n’est pas fait pour l’union sexuelle, car généralisé il ne me spécifie plus comme homme ou femme, mais comme l’un et l’autre. La fonction de ce champ ici décrit comme celui de l’union sexuelle pose, pour chacun des deux sexes, l’alternative : l’autre est ou l’Autre ou le phallus, au sens de l’exclusion. Ce champ-là est vide [- ϕ]. Mais ce champ-là [- ϕ] si je le positive, le « ou » prend cet autre sens qui veut dire que l’un à l’autre est substituable à tout instant."
LACAN, S.X, 05/05/1963

Phallus, Angoisse, Orgasme, Femme, 1963

Le phallus, qui fonctionne au plan imaginaire à tous les niveaux, manque précisément là où il devrait jouer son rôle de médiateur : au stade phallique. C’est cette absence, cet évanouissement au cœur même de la fonction sexuelle, noté - ϕ, qui fonde l’angoisse de castration. Celle-ci se révèle notamment dans la scène primitive, où la présence phallique se donne sur un mode ambigu : visible et pourtant escamotée, elle frappe surtout par ses formes de disparition. Lacan reprend l’exemple de « l’Homme aux loups » : dans la vision traumatique de l’arbre couvert de loups, l’enfant est fasciné et paralysé, captif d’une image catatonique où ce qui le regarde est partout et nulle part. "Une jouissance dépassant tout repérage possible par le sujet est là présentifiée sous cette forme érigée. Le sujet n’est plus qu’érection dans cette prise qui le fait phallus, « l’arb-horrifie », le fige tout entier" dit Lacan. - Au plan génital, Lacan insiste sur le lien entre la copulation humaine, la bisexualité et l’émergence de la mort individuelle. L’acte sexuel noue à la fois survie de l’espèce et pulsion de mort, ce que traduit l’expression courante de « petite mort ». Ce que l’on demande à l’autre dans l’amour est ainsi toujours lié à la mort. L’orgasme satisfait cette demande en offrant un apaisement, mais lorsque la jouissance se détache du rapport à l’Autre — comme dans le coït interrompu, si l'on en croit Freud — surgit l’angoisse. - Le sexe, incapable de soutenir longtemps la jouissance, cède prématurément et disparaît de la scène au moment où il pourrait devenir l’objet sacrificiel. De là se noue le drame du complexe de castration : la mise en question du désir et de l’illusion d’un « accomplissement génital ». Le phallus ne peut jamais réaliser la rencontre des désirs, sauf dans son évanescence, et c’est pourquoi il devient le noyau ou le "lieu commun" de l’angoisse. - Chez la femme, cet échec du désir masculin ouvre à l’idée d’avoir l’organe de l’homme, ce phallus manquant. Cette demande adressée à l’analyste, comme Freud l’avait vu, peut se formuler comme une demande de pénis, mais pour « faire mieux que l’homme ». En dehors de l’analyse, une solution ordinaire réside dans la mascarade féminine (selon Joan Rivière), où les attributs féminins sont offerts comme signes de la toute-puissance phallique pour soutenir le désir masculin, "simplement, elle doit y faire bon marché de sa jouissance".


"Après tout pourquoi nous refuser à voir ce qui est après tout immédiatement sensible dans des faits que nous connaissons tout à fait bien, qui sont signifiés dans les usages les plus courants de la langue: nous demandons - je n'ai pas encore dit à qui, mais enfin comme il faut bien toujours demander quelque chose à quelqu'un, il se trouve que c'est à notre partenaire, est-il bien sûr que ce soit à lui, c'est à voir dans un second temps, mais que ce que nous demandons, c'est quoi ? C'est à satisfaire une demande qui a un certain rapport avec la mort. Ça ne va pas très loin, ce que nous demandons, c'est « la petite mort », mais enfin il est clair que nous la demandons, que la pulsion est intimement mêlée à cette fonction de la demande : que nous demandons à « faire l'amour » si vous voulez à « faire l'amourir», c'est à mourir, c'est même à mourir de rire ! Ça n'est pas pour rien que je souligne ce qui de l'amour participe à ce que j'appelle un sentiment comique. En tout cas, c'est bien là que doit résider ce qu'il y a de reposant dans l'après-orgasme, si ce qui est satisfait c'est cette demande, eh bien mon Dieu, c'est satisfait à bon compte. On s'en tire! L'avantage de cette conception est de faire apparaître, de rendre raison de ce qu'il en est de l'apparition de l'angoisse, dans un certain nombre de façons d'obtenir l'orgasme. Dans toute la mesure où l'orgasme se détache de ce champ de la demande à l'autre - c'est la première appréhension que Freud en a eue dans le coïtus interruptus - l’angoisse apparaît, si je puis dire, dans cette marge de perte de signification, mais comme telle, elle continue à désigner ce qui est visé d’un certain rapport à l’Autre."
LACAN, S.X, 29/05/1963

Objet a, Vision, Fantasme, Espace, 1963

Dans sa fonction de support du désir dans le fantasme, l'objet (a) n'est jamais aussi prégnant que dans le champ visuel - domaine du fantasme par excellence - et justement en tant qu'absent ou élidé. Car l'espace est structuré par la nature insécable et surtout "inaliénable" - quoique parfaitement imaginaire - du point en tant que condition de possibilité de la ligne, puis de la surface. C'est pourquoi l'objet (a) ne peut en aucun cas s'y retrouver, étant par définition ce qui manque à l'image : "petit(a) - ce qui manque - est non spéculaire : il n’est pas saisissable dans l’image".


"L’origine, la base, la structure, de la fonction du désir comme tel est - dans un style, dans une forme, à chaque fois à préciser - cet objet central (a), en tant qu’il est non seulement séparé mais éludé, toujours ailleurs que là où le désir le supporte, et pourtant en relation profonde avec lui, ce caractère d’élusion n’est nulle part plus manifeste qu’au niveau de la fonction de l’œil. Et c’est en quoi  le support le plus satisfaisant de la fonction du désir : le fantasme, est toujours marqué d’une parenté avec les modèles visuels où il fonctionne communément - si l’on peut dire - où il donne le ton de notre vie désirante."
LACAN, S.X, 22/05/1963

Angoisse, Orgasme, Oralité, Coupure, 1963

Le mécanisme post-copulatoire de la détumescence, avec la disparition de la fonction qui s'en-suit, peut être rapproché de la fonction fondamentale de la coupure au niveau de la pulsion orale. Or si dans la pulsion orale le point d'angoisse se rapporte, au-delà de la fonction du nourrissage, au risque de tarissement du sein et donc à sa disparition, l'orgasme lui-même - en tant que summum de la satisfaction - devient ici l'analogue du point d'angoisse, voire une authentique expérience d'angoisse - avec cette particularité que "l’orgasme - de toutes les angoisses - est la seule qui réellement s’achève" dit Lacan.


"Et c'est ce qui nous permet de justifier ce que la clinique nous montre d'une façon très fréquente, à savoir la sorte d'équivalence fondamentale qu'il y a entre l'orgasme et au moins certaines formes de l'angoisse, la possibilité de la production d'un orgasme au sommet d'une situation angoissante, l'érotisation, nous dit-on de toute part, l'érotisation éventuelle d'une situation angoissante, recherchée comme telle... Si la fonction de l'orgasme peut atteindre cette éminence : - est-ce que ce n'est pas parce que, dans le fond de l'orgasme réalisé il y a quelque chose de ce que j'ai appelé la certitude liée à l'angoisse...  – est-ce que ce n’est pas dans la mesure où l’orgasme c’est la réalisation même de ce que l’angoisse indique comme repérage, comme direction du lieu de la certitude, l’orgasme - de toutes les angoisses - est la seule qui réellement s’achève ?"
LACAN, S.X, 08/05/1963

Angoisse, Oralité, Coupure, Objet a, 1963

A souligner la fonction de la coupure dans la pulsion orale, on comprends que celle-ci fonctionne comme un mode métaphorique de ce qui se passe au niveau de l’objet phallique, de nature même à éclairer l'énigme (jamais résolue par Freud) du complexe de castration. Déjà la lèvre en elle-même, avec sa structure de bord, suffirait presque à incarner la coupure. Puis arrive, avec la pulsion orale, toute une thématique agressive (la menace de morsure au niveau de ce qu'Homère appelait "l'enclos des dents"), voire une fantasmatique sadique présentant le bout du sein comme objet non seulement isolé mais encore sectionné. Mais ce n'est pas à ce niveau fantasmatique d'appréhension de l'objet que nous avons affaire avec l'angoisse, avec ce que Lacan appelle le "point d'angoisse". Car en vérité la coupure primordiale n'est pas conditionnée à l'agression du corps maternel, il faut imaginer la coupure première au niveau de l'oeuf, entre le foetus et les enveloppes dont il se débarrasse à la naissance. Avant d'être coupé de l'Autre, l'on est coupé (de) soi-même, "au sein" d'un corps plus vaste qui nous constitue. Et donc ce qui donne sa fonction d'objet (a) à la mamme n'est pas directement le sein de la mère, mais une zone de contact - devenant zone de séparation - plus globale. D'où ce que dit Lacan : "c'est parce que le (a) est quelque chose dont l'enfant est séparé d'une façon en quelque sorte interne à la sphère de son existence propre, qu'il est bel et bien le (a)" - c'est aussi pour cela qu'il est réellement perdu. Ce qui apparait au niveau de l'angoisse, à la place du manque, faisant manquer le manque, ce n'est évidemment pas quelque chose qui se substitue au sein mais bien qui se substitue au corps de la mère, à l'Autre comme tel. "Voilà ce qui nous permet de distinguer le point d'angoisse du point de désir, précise Lacan. Ce qui nous montre qu'au niveau de la pulsion orale, le point d'angoisse est au niveau de l'Autre, et que c'est là que nous l'éprouvons." Lacan d'évoquer ensuite l'image de l'enfant "vampirique" tentant de piller la mère, puis plus directement le mythe du vampire en immortel suceur (et, ajouterons-nous, au moins depuis Dracula, éternel séducteur), figure angoissante s'il en est, car le pillage féroce auquel il se livre ne laisse-t-il pas entrevoir la possibilité d'un tarissement du sein ? Angoisse, car alors le manque ne manque plus, mais c'est à nous confronter à la totalité du corps maternel (ce que figure pour Dracula - version Casanova - la totalité des jolies femmes de ce monde. Le vampire est une langue suceuse sans doute affreuse mais romanesque, bien faite pour représenter ici le phallus.


"Freud nous dit « l'anatomie, c'est le destin. » Vous le savez, je me suis... j'ai pu, à certains moments, m'élever contre cette formule pour ce qu'elle peut avoir d'incomplet. Elle devient vraie - vous le voyez - si nous donnons au terme « anatomie» son sens strict et si je puis dire étymologique, celui qui met en valeur « ana-tomie », la fonction de la coupure, ce par quoi tout ce que nous connaissons de l'anatomie est lié à la dissection. C'est pour autant qu'est concevable ce morcellement, cette coupure du corps propre, et qui là est lieu des moments élus de fonctionnement ; c'est pour autant que le destin, c'est-à-dire le rapport de l'homme à cette fonction qui s'appelle le désir, prend toute son animation. La « sépartition » fondamentale - non pas séparation mais partition à l'intérieur - voilà ce qui se trouve, dès l'origine et dès le niveau de la pulsion orale, inscrit dans ce qui sera structuration du désir. Nul étonnement dès lors à ce que nous ayons été à ce niveau pour trouver quelque image plus accessible à ce qui est resté pour nous - pourquoi ? - toujours jusqu'à présent paradoxe, à savoir : que dans le fonctionnement phallique, dans celui qui est lié à la copulation, c'est aussi l'image d'une coupure, d'une séparation, de ce que nous appelons improprement « castration », puisque c’est  une image d’éviration qui fonctionne."
LACAN, S.X, 08/05/1963

Cause, Objet a, Connaissance, Angoisse, 1963

La cause surgit toujours en corrélation avec l’omission, dans la connaissance, du désir qui la fonde. Classiquement la connaissance se donne des justifications essentialistes, que l'on retrouve jusque dans la certitude cartésienne. Or il n'y a pas de désir de connaître porté par un sujet transcendantal, qui le satisferait plus ou moins ; il y a seulement, par la nécessité structurale du sujet pris dans le signifiant, une fonction de connaissance déjà impliquée dans le fantasme où l'objet prend sa fonction de support pour le désir, et plus précisément de cause. La justification essentialiste ne convainc pas, sinon pourquoi le philosophe éprouverait-il le besoin d'y revenir sans cesse ? Cette certitude n'est que l'ombre d'une autre bien plus probante, et plus éprouvante, qui est celle de l'angoisse survenant à l'approche de l'objet, à définir comme "ce qui ne trompe pas". Cet objet qui est structurant dans le fantasme fondamental du sujet, comme cause de son désir et, à un autre niveau, source de son angoisse, la connaissance ne peut pas l'ignorer complètement ; c'est pourquoi « il у а déjà connaissance dans le fantasme » dit Lacan. Ce qui signifie également que le corps est impliqué dans la connaissance - au point de justifier une sérieuse "mise en cause", proprement, de cette fonction ! -, non pas comme ce corps global participant de la visée intentionnelle du sujet comme tente de le décrire la phénoménologie, mais plus radicalement parce que nul sujet ne parle (et la connaissance suppose la parole) sans qu'une "livre de chair" (comme il est écrit dans Le Marchand de Venise) ne soit prélevée, sacrifiée, amputant justement à jamais le corps global.


"Ce dont il s’agit n’est pas d’un sentiment qui requiert sa satisfaction, ce dont il s’agit est d’une nécessité  structurale : le rapport du sujet au signifiant nécessite la structuration du désir dans le fantasme, le fonctionnement du fantasme implique une syncope temporellement définissable de la fonction du (а), qui forcément, à telle phase du fonctionnement fantasmatique, s’efface et  disparaît. Cette aphanisis du (а), cette disparition de l’objet en tant qu’il structure un certain niveau du fantasme, c’est cela dont nous avons le reflet dans la fonction de la cause... Un objet caché est au ressort de cette foi, faite au premier moteur d’Aristote dont je vous le dépeignais tout à l’heure sourd et aveugle à ce qui le cause...
Qu’est-ce que ceci implique ? Assurément, une mise en cause plus radicale qu’elle n’a jamais été, dans notre philosophie occidentale, articulée : la mise en cause comme telle de la fonction de la connaissance... Chez nous, elle ne peut commencer à être faite de la façon la plus radicale que si nous nous apercevons de ce que veut dire cette formule : « qu’il у а déjà connaissance dans le fantasme ». Et quelle est la nature de cette connaissance qu’il у а déjà dans le fantasme ? Ce n’est rien d’autre que ceci que je répète à l’instant : l’homme qui parle, le sujet dès qu’il parle, est déjà dans son corps, par cette parole, impliqué. La racine de la connaissance, c’est cet engagement de son corps."
LACAN, S.X, 08/05/1963

Cause, Objet a, Corps, Phallus, 1963, KANT

La notion d’« objectalité » est antérieure et sous-jacente à celle d'« objectivité ». Elle n'est pas le corrélat d'une subjectivité transcendantale, mais plutôt le corrélat d’un "pathos de coupure", précise Lacan, en ce point où le formalisme logique, au sens kantien, rejoint un effet méconnu déjà présent dans la Critique de la raison pure, à savoir que le formalisme reste pétri de causalité, suspendu à une justification qu’aucun a priori ne peut réduire. La fonction de la cause demeure partout irréductible et insaisissable dans le champ de la critique. Une partie perdue de nous-même, coincée dans la machine formelle, constitue le support authentique de toute fonction de la cause. Cet objet perdu, cause du désir, voire par métaphore cet objet de désir que nous "sommes" pour l'autre, reste un morceau charnel quand bien même les mots prétendent viser quelque chose de plus spirituel. (Notons que si toutes les parties du corps trouvent place dans ces usages métaphoriques, l’organe sexuel masculin en est curieusement absent : ce qui connote directement le phallus y est marqué du signe -.)


"Le morceau charnel comme tel, à nous-mêmes arraché, c’est ce morceau en tant que c’est lui qui circule dans le formalisme logique tel qu’il se dégage par notre travail de l’usage du signifiant, c’est cette part de nous-même prise dans la machine, à jamais irrécupérable, cet objet comme perdu aux différents niveaux de l’expérience corporelle où se produit sa coupure, c’est lui qui est le support, le substrat authentique de toute fonction comme telle de la cause... Cette part de nous-mêmes, cette part corporelle est donc essentiellement et par fonction, partielle. Bien sûr, il convient de rappeler qu’elle est corps : que nous ne sommes objectaux - ce qui veut dire objet du désir - que comme corps. Point essentiel à rappeler, puisque c’est l’un des champs créateurs de la dénégation que de faire appel à quelque chose d’autre, à quelque substitut. C’est ce qui pourtant reste toujours et au dernier terme, désir du corps, désir du corps de l’autre, et rien que désir de son corps."
LACAN, S.X, 08/05/1963

Phallus, Femme, Objet (a), Don-juanisme, 1963

La revendication du penis chez la femme, en tant qu'il fonctionne comme objet (a), est originellement lié au rapport à la mère, c’est-à-dire à la demande. L'objet se constitue directement à partir de ce qu'elle n'a pas, alors que chez l'homme, c'est à partir de ce qu'il n'est pas. Dès lors, on peut interpréter la figure de Don Juan comme un fantasme féminin, l'image (évidemment) trompeuse d'Un qui l'a déjà tout fonctionnel (à la demande) et, mieux, qui le possèdera toujours (ce qui le rapproche de sa propre constitution de femme, c'est qu'on ne pourra jamais le lui prendre).


"Pour la femme, c'est initialement ce qu'elle n'a pas, comme tel, qui va devenir, qui constitue au départ, l'objet de son désir, - alors qu'au départ, pour l'homme, c'est ce qu'il n'est pas, c'est là où il défaille. C'est pour cela que je vous ai fait vous avancer par cette voie du fantasme de Don Juan. Le fantasme de Don Juan, et c'est en cela qu'il est un fantasme féminin, c'est ce vœu chez la femme, d'une image qui joue sa fonction - fonction fantasmatique - qu'il y en a un, d'homme, qui l'a d'abord - ce qui est évidemment, vu l'expérience, une méconnaissance évidente de la réalité - mais bien mieux encore : qui l'a toujours, qui ne peut pas le perdre. Ce qui implique justement la position de Don Juan dans le fantasme, c'est qu'aucune femme ne peut le lui prendre, c'est ce qui est essentiel, et c'est évidemment - c'est pour cela que je dis que c'est un fantasme féminin - ce qu'il a dans cette occasion de commun avec la femme, à qui bien sûr on ne peut pas le prendre puisqu'elle ne l'a pas."
LACAN, S.X, 27/03/1963

Sujet, Jouissance, Objet a, Angoisse, 1963


Le sujet S va vers son avènement de sujet désirant selon le principe d'une division par rapport grand Autre A qui lui préexiste comme "trésor du signifiant". Ce S initial n'est rien d'autre que mythique au titre de ce qu'on pourrait nommer le "sujet de la jouissance". Il faut partir de cette jouissance d'un sujet hypothétique sans existence pour en déduire, dans un second puis dans un troisième temps, respectivement l'angoisse et le désir. Le (a) est ce réel qui choit de l'opération, ce qui par rapport au A décomplété (A barré) deviendra à l'occasion cet objet non reconnaissable venant pour occulter le manque et provoquer l'angoisse. Définir le (a) comme une sorte de "métaphore du sujet de la jouissance" serait approximatif, voire contradictoire, puisque par définition l'objet n'est en rien un signifiant, est même ce qui résiste radicalement à la fonction signifiante, en tant que déchet et reste de jouissance. Par ailleurs, il est le corrélatif essentiel pour le sujet désirant (sujet barré) advenu dans l'opération, il est la cause de son désir en tant que manquant, ce qui permet de comprendre l'interférence de l'angoisse avec le désir et sa fonction médiane entre le désir et la jouissance.


"La fin de mon discours, je pense, vous a suffisamment permis de reconnaître comment pourrait être - à ce niveau mythique, préalable à tout ce jeu de l'opération - être dénommé « le sujet », en tant que ce terme ait un sens, et justement pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, qu'on ne peut d'aucune façon l'isoler comme sujet, mais mythiquement nous l'appellerons aujourd'hui « sujet de la jouissance », car comme vous le savez - je l'ai écrit ici la dernière fois - les trois étages auxquels répondent les trois temps de cette opération sont respectivement: la jouissance, l'angoisse et le désir. C’est dans cet étagement que je vais aujourd’hui m’avancer pour montrer la fonction, non pas médiatrice mais médiane de l’angoisse, entre la jouissance et  le désir... J’ai dit de l’angoisse en tant que terme intermédiaire entre la jouissance et le désir, en tant que, c’est franchie l’angoisse, fondé sur le temps de l’angoisse, que le désir se constitue."
LACAN, S.X, 13/03/1963

Amour, Désir, Jouissance, Objet a, 1963

Il n'y pas d'autre moyen d'accéder à l'Autre, sur la voie du désir, que d'en passer par l'objet (a). En tant qu'il désire, le sujet n'est jamais qu'absence de (a), et l'Autre qu'il désire s'en trouve immanquablement "a-ifié"... Ce qui ne peut que susciter son angoisse. Cette fonction du (a) vaut pour les deux sexes, quant au désir, même si la femme - "qui ne manque de rien" affirme Lacan - ne fait pas nécessairement de la jouissance le terme de son désir. La solution de cette impasse ? C'est que "seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir", c'est-à-dire que l'amour joue un rôle de sublimation par rapport au désir, c'est-à-dire encore que l'amour seul parvient à sublimer le manque.


"Supposons, ce qui saute aux yeux, qu’en référence à ce qui fait la clé de cette fonction de l’objet du désir, la femme - ce qui est bien évident - ne manque de rien. Parce qu’on aurait tout à fait tort de considérer que le penisneid soit un dernier terme... Le fait qu’elle n’ait, sur ce point, rien à désirer... le fait de n’avoir rien à désirer sur le chemin de la jouissance ne règle pas assurément pour elle la question du désir, justement dans la mesure où la fonction du (а), pour elle comme pour nous, joue tout son rôle."
LACAN, S.X, 13/03/1963

Objet a, Phallus, Chute, Manque 1963

L'objet (a) n'est pas seulement la cause du désir, il peut apparaître comme ce qui reste ou ce qui choit de l'expérience du désir, lorsque celui-ci vient à se "satisfaire". C'est à ce niveau que le phallus réel dans l'acte de la copulation - et contrairement à d'autres objets qui peuvent y survivre sans faire à ce point triste figure, disons, comme les seins -, se trouve marqué d'une négativité particulière élevée au niveau du sujet à la dimension d'un manque radical. De tous les objets (a), remarque Lacan, il est le seul qui se présente "avec le signe moins".


"Qu’au niveau du (а), c’est parce que le  phallus, le phallus en tant qu’il est, dans la copulation, non pas seulement instrument du désir, mais instrument fonctionnant d’une certaine façon, à un certain niveau animal, c’est pour ceci que lui se présente en la fonction de (а) avec le signe moins... Le négatif qui marque dans le fonctionnement physiologique de la copulation chez l’être humain, se trouve promu au niveau du sujet sous la forme d’un manque irréductible."
LACAN, S.X, 13/03/1963

Enseignement, Désir, Collage, Manque, 1963

La question du désir de l'enseignant se pose légitimement - par analogie avec celle du désir de l'analyste -, car si elle ne se posait pas, il n'y aurait que des professeurs pour "enseigner sur les enseignements", c'est-à-dire pour tailler dans les corpus, les recopier plus ou moins habilement et les distribuer. Or justement il pourrait y avoir quelque analogie entre l'art d'enseigner et l'art du collage, pour peu que le praticien, dans les deux cas, n'oublie pas de transmettre le désir qui l'anime en suggérant le manque, qui peut ressortir, par exemple, dans la savante imperfection des raccords.


"Je me suis dit, qu’après tout, ce n’était pas non plus un mauvais biais pour introduire  le désir de l’analyste que de rappeler qu’il y а une question du désir de l’enseignant... En somme, qu'on puisse poser la question du désir de l'enseignant à quelqu'un, je dirais que c'est le signe, comme dirait M. de La Palisse, que la question existe. C'est aussi le signe qu'il y a un enseignement. Et ceci nous introduit, en fin de compte, à cette curieuse remarque: que là où on ne se pose pas la question, c'est qu'il y a le professeur. Le professeur existe chaque fois que la réponse à cette question est, si je puis dire, écrite, écrite sur son aspect ou sur son comportement, dans cette sorte de conditionnement que on peut situer au niveau, en somme, de ce qu'en analyse nous appelons le préconscient, c'est-à-dire de quelque chose qu'on peut sortir, d'où que ça vienne, des institutions ou même ce qu'on appelle de "ses penchants". Ce n'est pas, à ce niveau, inutile de s'apercevoir qu'alors, le professeur se définit comme celui qui enseigne sur les enseignements. Autrement dit, il découpe dans les enseignements. Si cette vérité était mieux connue - qu'il s'agit en somme au niveau du professeur, de quelque chose d'analogue au collage - si cette vérité était mieux connue, ça leur permettrait d'y mettre un art plus consommé, dont justement le collage, qui a pris son sens par l'œuvre d'art, nous montre la voie. C'est à savoir que s'ils faisaient leurs collages d'une façon moins soucieuse du raccord, moins tempérée, ils auraient quelque chance d'aboutir au même résultat à quoi vise le collage, d'évoquer proprement ce manque qui fait toute la valeur de l'œuvre figurative elle-même, quand elle est réussie bien entendu. C'est par cette voie donc, qu'ils arriveraient à rejoindre l'effet propre de ce qu'est justement un enseignement. Voilà !"
LACAN, S.X, 13/03/1963

Angoisse, Phallus, Orgasme, Objet a, 1963

Révélatrice était la première intuition de Freud (même si elle a pu faire sourire) concernant la relation entre angoisse et coïtus interruptus, car elle pointait une disjonction entre l'orgasme (souhaité en tous cas comme union simultanée de deux jouissances) et la fonction de l'instrument, qui justement se distingue en l'espèce par son retrait, sinon totalement sa mise hors service. Ainsi l'angoisse serait liée à la possible réduction du phallus au rang d'objet chu. Par ailleurs c'est à partir de la détumescence et du déclin de l'instrument devenant objet perdu que le sujet est introduit à la fonction de la castration.


"L’angoisse est promue par Freud dans sa fonction essentielle, là justement où l’accompagnement de la montée orgastique avec ce qu’on peut appeler « la mise en exercice de l’instrument », est justement disjointe. Le sujet peut en venir à l’éjaculation, mais c’est une éjaculation au dehors, et l’angoisse est justement provoquée par le fait qui est mis en valeur, par ceci que j’ai appelé tout à l’heure la mise hors de jeu de l’appareil, de l’instrument dans la jouissance. La subjectivité si vous voulez, est focalisée sur la chute du phallus. Cette chute du phallus, elle existe aussi bien dans l’orgasme accompli normalement, in situ. C’est justement là-dessus que mérite d’être retenue l’attention, pour mettre en valeur une des dimensions de la castration. Comment est vécue la copulation entre homme et femme ? C’est là ce qui permet à la fonction de la castration, à savoir au fait que le phallus est plus significatif dans le vécu humain par sa chute, par sa possibilité d’être objet chu, que par sa présence, c’est là ce qui désigne la possibilité de la place de la castration dans l’histoire du désir."
LACAN, S.X, 06/03/1963

Angoisse, Masochisme, Sadisme, Objet a, 1963

 La connivence de l'angoisse avec l'objet (a) se rencontre exemplairement dans la position du sujet masochiste, lequel se pose (et même s'expose) comme un tel objet déchet, entièrement soumis à la volonté de jouissance de l'Autre. D'où l'angoisse certes, mais il s'agit là d'un fantasme dissimulant, selon Lacan, la véritable visée qui est l'angoisse de l'Autre. Car après tout le scénario fantasmatique est là pour échouer. Ce qui est vraiment cherché dit Lacan "c’est chez l’Autre la réponse à cette chute essentielle du sujet dans sa misère dernière, et qui est l’angoisse". Chez le sadique, l'angoisse (de la victime, mais aussi du grand Témoin, Dieu) est plus évidente puisqu'elle vient même au premier plan du fantasme, même si la dimension instrumentale de son travail, de son action, tend à en dissimuler la finalité.


"Le masochiste - je vous l’ai dit l’autre jour, la dernière fois - quelle est sa position ? Qu’est-ce que masque, à lui, son fantasme ? D’être l’objet d’une jouissance de l’Autre qui est  sa propre volonté de jouissance... D’être l’objet d’une jouissance de l’Autre qui est  sa propre volonté de jouissance... Qu’est-ce que cette position d’objet masque, si ce n’est de rejoindre lui-même, de se poser dans la fonction de la loque humaine, de ce pauvre déchet  de corps séparé, qui nous est ici présenté ? Et c’est pourquoi je dis que la visée de la jouissance de l’Autre est une visée fantasmatique : ce qui est cherché c’est chez l’Autre la réponse à cette chute essentielle du sujet dans sa misère dernière, et qui est l’angoisse... Si cette angoisse qui est la visée aveugle du masochiste, car son fantasme la lui masque, elle n'en est pas moins, réellement, ce que nous pourrions appeler l'angoisse de Dieu. Est-ce que j'ai besoin de faire appel au mythe chrétien le plus fondamental pour donner corps à ce qu'ici j'avance, et si toute l'aventure chrétienne n'est pas engagée sur cette tentative centrale, inaugurale, incarnée par un homme dont toutes les paroles sont encore à réentendre, d'être celui qui a poussé les choses jusqu'au dernier terme d'une angoisse qui ne trouve son véritable cycle qu'au niveau de celui pour lequel est instauré le sacrifice, c'est-à-dire au niveau du Père."
LACAN, S.X, 06/03/1963

Sujet, Objet a, Angoisse, Réel, 1963

 "Dans A, combien de fois S ?" Telle est la première opération interrogative, en forme de division, que le sujet subit en tant qu'il se constitue au lieu de l'Autre sous les pures espèces du signifiant. C'est aussi manière de comprendre comment, de cette division, se déduit un reste indivisible, l'objet (a), représentant ici le réel irréductible du sujet (plus précisément ce qu'il en reste). C'est à lui que nous avons affaire dans l'angoisse, dans sa fonction première de reste, comme dans le désir, dans sa fonction de cause. L'angoisse opère donc comme le signal de cet irréductible réel, c'est pourquoi ce signal, comme le dit Lacan, est par excellence "celui qui ne trompe pas".


"Je vous ai déjà appris à situer le procès de la subjectivation pour autant que c’est :  –  au lieu de l’Autre et sous les espèces primaires du signifiant, que le sujet a à se constituer, –  au lieu de l’Autre et sur le donné de ce trésor du signifiant… Le sujet, à ce niveau, mythique, qui n’existe pas encore, qui n’existe que partant du signifiant qui lui est antérieur, qui est par rapport à lui constituant ...que le sujet fait cette première opération interrogative : « dans A - si vous voulez - combien de fois S ? »... Et l'opération étant supposée d'une certaine façon qui est ici le A marqué de cette interrogation [en A combien de fois S ?], ici apparaît - différence entre ce A réponse et le A donné [en A combien. .?] - quelque chose qui est le reste, l'irréductible du sujet, c'est (a), petit(a) est ce qui reste d'irréductible dans cette opération totale d'avènement du sujet au lieu de l'Autre, et c'est de là qu'il va prendre sa fonction. Le rapport de ce (a) à l'S, le (a) en tant qu'il est justement ce qui représente le S dans son réel irréductible, ce (a) sur S [a/Sl, c'est cela qui boucle l'opération de la division. Ce reste donc, en tant qu'il est la chute, si l'on peut dire, de l'opération subjective, ce reste où nous reconnaissons ici, structuralement si vous voulez, dans une analogie calcula-trice, l'objet perdu, c'est cela à quoi nous avons affaire, d'une part dans le désir, d'autre part dans l'angoisse."
LACAN, S.X, 06/03/1963


Loi, Réel, Angoisse, Signifiant, 1963

Cette obstination, patente dans l'évolution des doctrines morales, à asseoir la Loi sur l'autonomie du sujet, confine au mythe et en tout cas révèle un mécanisme de défense... contre l'hétéronomie radicale de la loi, justement, en tant qu'elle provient du réel... Ce réel qui, lorsqu'il intervient, détermine le refoulement, soit l'effacement de la trace originelle au moyen du signifiant. Le signifiant tente alors de faire Loi. Mais refoulement et retour du refoulé n'étant qu'un, c'est justement le retour du signifiant à l'état de trace, de trace du réel, qui pose problème, voire qui fait symptôme. Dans le cas de l'angoisse, le réel intervient à nouveau : rien d'autre que cette présence palpable du désir, en tant qu'identique à la Loi - sinon son approche ne causerait pas l'angoisse.


"J’insiste sur ceci : qu’elle [la Loi morale] provient de ce que j’appelle le réel. Ce que j’appelle le réel en tant qu’il intervient, qu’il intervient quand il intervient, essentiellement comme Freud nous le dit, à savoir en élidant le sujet, en déterminant, de par son intervention même, ce qu’on appelle le refoulement... Ce dont il s’agit est non pas l’effacement des traces mais le retour du signifiant à l’état de traces, l’abolition de ce passage de la trace au signifiant qui est constituée par ce que j’ai essayé de vous faire sentir, de vous décrire par une mise entre parenthèses de la trace, un soulignage, un barrage, une marque de la trace. C’est ça qui saute avec l’intervention du réel. Le réel renvoyant le sujet à la trace, abolit aussi le sujet du même coup, car il n’y а de sujet que par le signifiant."
LACAN, S.X, 27/02/1963

Désir, Loi, Perversion, Névrose, 1963

"Le désir, c'est la loi" (celle qui aboutit à l'interdiction de l'inceste), cela vaut également pour le pervers, qui loin d'être livré à une jouissance sans limite s'applique à la mise en oeuvre d'une Loi fonctionnant comme mécanisme de défense, justement pour l'en détourner. Disons qu'il s'applique, presque vertueusement, à la jouissance de l'Autre, au nom d'une volonté universelle de jouir (ayant force de Loi) qui ne peut que faillir en pratique. Cela vaut bien entendu pour le névrosé qui convoque une telle loi du désir pour mieux l'expériencer, soit sur le mode de insatisfaction (hystérique) soit sur celui de impossibilité (obsessionnel).


"Le désir donc, c’est la Loi. Ce n’est pas seulement que, dans la doctrine analytique, avec son corps central de l’Œdipisme, il est clair que ce qui fait la substance de la Loi, c’est ce désir pour la mère, qu’inversement ce qui normative le désir lui-même, ce qui le situe comme désir, c’est la loi dite « interdiction de l’inceste »."
LACAN, S.X, 27/02/1963

Angoisse, Désir, Cause, Analyse, 1963

L'angoisse signale au sujet - au niveau sensible du moi - la présence du désir de l'Autre. Le désir en tant que, détaché du besoin, il peut en vouloir à mon être, le mettre en question. Ce serait commode si, comme l'imagine Hegel, le désir avait pour seule logique de me reconnaître au-delà de l'objet ; mais non, il me remet en cause, m'interroge au niveau de mon propre désir, justement au niveau de sa cause. Il me projette dans cette dimension temporelle de la cause du désir, m'engageant certes dans l'épreuve de l'angoisse, mais possiblement aussi dans l'épreuve de l'analyse, puisqu'elle n'est pas sans angoisse, étant donné le rôle pivot du désir de l'analyste.


"C’est cela qui est l’angoisse : le désir de l’Autre ne me reconnaît pas comme le croit Hegel - ce qui rend la question bien facile, car s’il me reconnaît, comme il ne me reconnaîtra jamais suffisamment, je n’ai qu’à user de violence - donc, il ne me reconnaît ni ne me méconnaît..., il me met en cause, m’interroge à la racine même de mon désir à moi, comme (а), comme cause de ce désir et non comme objet. Et c’est parce que c’est là qu’il vise, dans un rapport d’antécédence, dans un rapport  temporel, que je ne puis rien faire pour rompre cette prise, sauf à m’y engager. C’est cette dimension temporelle qui est l’angoisse, et c’est cette dimension temporelle qui est celle de l’analyse. C’est parce que le désir de l’analyste suscite en moi cette dimension de l’attente que je suis pris dans ce quelque chose qui est l’efficace de l’analyse."
LACAN, S.X, 27/02/1963

Manque, Objet a, Symbolique, Réel, 1963

Si "l'angoisse n'est pas sans objet", comme y insiste Lacan, c'est de nous introduire à la fonction d'un manque radical. Bien qu'il affecte le réel le manque n'est saisissable que par le biais du symbolique, c'est toujours un symbole qui désigne une absence et qui tente d'y suppléer (par exemple la femme n'est "privée" du pénis qu'en tant que celui-ci est doté d'une valeur symbolique, et l'on parle alors du phallus - mais la privation, elle, est bien réelle). Un manque réel qui est de l'ordre de la perte comme l'énonce Lacan en ces termes : « Dès que ça se sait, que quelque chose vient au savoir du réel, il y a quelque chose de perdu, et la façon la plus certaine d’approcher ce quelque chose de perdu, c’est de le concevoir comme un morceau de corps. » Or cette pièce manquante - l'objet (a) pour Lacan - le symbolique n'y supplée pas vraiment, puisqu'elle est, comme telle, la contre-partie du symbolique : elle est donc irréductible.


"Le manque est radical, il est radical à la constitution même de la subjectivité telle qu’elle nous apparaît par la voie de l’expérience analytique. Ce que, si vous le voulez, j’aimerais énoncer en cette formule : « Dès que ça se sait, que quelque chose vient au savoir du réel, il y a quelque chose de perdu, et la façon la plus certaine d’approcher ce quelque chose de perdu, c’est de le concevoir comme un morceau de corps.»... D’où il résulte - autre vérité - que nous pourrions dire que tout le tournant de notre expérience repose sur ceci : que le rapport à l’Autre en tant qu’il est ce où se situe toute possibilité de symbolisation et de lieu du discours, rejoint un vice de structure, et qu’il nous faut - c’est le pas de plus - concevoir que nous touchons là, à ce qui rend possible ce rapport à l’Autre, c’est-à-dire ce d’où surgit qu’il y a du signifiant. Ce point d’où surgit qu’il y a du signifiant est celui, qui en un sens, ne saurait être signifié."
LACAN, S.X, 23/01/1963

Acting-out, Objet a, Autre, Symptôme, 1963

L'acting-out s'adresse à l'Autre, auquel le sujet montre quelque chose... d'autre. Dans le cas de la "jeune homosexuelle", Freud nous dit « Elle aurait voulu un enfant du père ». Et c'est bien ce foetus abandonné qu'elle devient - aux yeux de tous - en se jetant sur les rails : exhibant son désir ou ce qu'il en reste, sa cause même, l'objet (a) dans sa chute. L'acting-out s'offre à l'interprétation de l'Autre de façon beaucoup plus directe que le symptôme, il n'existe même que pour être interprété - comme une amorce de transfert sans analyse - là où le symptôme est autonome dans sa jouissance, bien qu'il ne puisse être interprété que sous transfert.


"Dans sa nature, le symptôme n’est pas, comme l’acting-out : appelant l’interprétation, car - on l’oublie trop - ce que nous découvrons dans le symptôme, ce que l’analyse y découvre, c’est : – que le symptôme - dans son essence - n’est pas appel, dis-je, à l’Autre, n’est pas ce qui montre à l’Autre, – que le symptôme dans sa nature est jouissance, ne l’oubliez pas, jouissance fourrée, sans doute, untergebliebene Befriedigung. Le symptôme n’a pas besoin de vous comme l’acting-out, il se suffit... À la différence du symptôme donc, l’acting-out, lui, eh bien c’est l’amorce du transfert, c’est le transfert sauvage. Ιl n’y a pas besoin d’analyse, vous vous en doutez, pour qu’il y ait transfert : – le transfert sans analyse, c’est l’acting-out, – l’acting-out sans analyse, c’est le transfert... Quand vous regardez les choses de près, la plupart du temps vous vous apercevez que le sujet sait fort bien que ce qu’il fait c’est pour s’offrir à votre interprétation dans l’acting-out. Seulement voilà, ça n’est pas le sens de ce que vous interpréterez, quel qu’il soit, qui compte, c’est le reste."
LACAN, S.X, 23/01/1963

Dépersonnalisation, Autre, Moi-idéal, Angoisse, 1963

"Dépersonnalisation", pour impropre qu'il soit, ce terme témoigne effectivement d'une expérience de dépossession telle que, dans la relation spéculaire, la relation à l'Autre assurant la reconnaissance de l'image comme moi idéal vient à faire défaut. "C'est parce que ce qui est vu dans le miroir est angoissant que cela n'est pas proposable à la reconnaissance de l'Autre" précise Lacan.


"Une autre relation s'établit dont il est trop captif pour que ce mouvement soit possible. Ici la relation duelle pure dépossède - ce sentiment de relation de dépossession marqué par les cliniciens dans la psychose - dépossède le sujet de cette relation au grand Autre. La spécularisation est étrange, « odd » comme disent les Anglais, impaire, hors symétrie : c'est le Horla de Maupassant, le hors-l'espace, en tant que l'espace c'est la dimension du superposable."
LACAN, S.X, 23/01/1963

Objet a, Autre, Reste, Sujet, 1963

L'objet (a) est nommé tel pour deux raisons : 1) par identité algébrique avec le grand Autre, étant ce qui "se constitue dans le rapport du sujet à l’Autre comme reste", 2) par identification régressive (ironiquement) à « ce qu’on n’a plus »...


"Il est essentiel de comprendre que c’est de cet Autre qu’il [l'objet a] prend son isolement, qu’il se constitue dans le rapport du sujet à l’Autre comme reste... Le sujet, tout en haut à droite, en tant que par notre dialectique, il prend son départ de la fonction du signifiant,      le sujet S, hypothétique, à l’origine de cette dialectique, se constitue au lieu de l’Autre comme marqué du signifiant, seul sujet où accède notre expérience. Inversement suspendant toute l’existence de l’Autre à une garantie qui manque : l’Autre barré. Mais de cette opération, il y a un reste, c’est le (a)... 

Ce (a) s’appelle (a) dans notre discours, non seulement pour la fonction d’identité algébrique que nous avons précisée l’autre jour, mais si je puis dire - humoristiquement - pour ce que c’est « ce qu’on n’a plus ». C’est pourquoi on peut le retrouver par voie régressive sous forme d’identification, c’est-à-dire à l’être ce (a), ce qu’on n’a plus..."
LACAN, S.X, 23/01/1963