A souligner la fonction de la coupure dans la pulsion orale, on comprends que celle-ci fonctionne comme un mode métaphorique de ce qui se passe au niveau de l’objet phallique, de nature même à éclairer l'énigme (jamais résolue par Freud) du complexe de castration. Déjà la lèvre en elle-même, avec sa structure de bord, suffirait presque à incarner la coupure. Puis arrive, avec la pulsion orale, toute une thématique agressive (la menace de morsure au niveau de ce qu'Homère appelait "l'enclos des dents"), voire une fantasmatique sadique présentant le bout du sein comme objet non seulement isolé mais encore sectionné. Mais ce n'est pas à ce niveau fantasmatique d'appréhension de l'objet que nous avons affaire avec l'angoisse, avec ce que Lacan appelle le "point d'angoisse". Car en vérité la coupure primordiale n'est pas conditionnée à l'agression du corps maternel, il faut imaginer la coupure première au niveau de l'oeuf, entre le foetus et les enveloppes dont il se débarrasse à la naissance. Avant d'être coupé de l'Autre, l'on est coupé (de) soi-même, "au sein" d'un corps plus vaste qui nous constitue. Et donc ce qui donne sa fonction d'objet (a) à la mamme n'est pas directement le sein de la mère, mais une zone de contact - devenant zone de séparation - plus globale. D'où ce que dit Lacan : "c'est parce que le (a) est quelque chose dont l'enfant est séparé d'une façon en quelque sorte interne à la sphère de son existence propre, qu'il est bel et bien le (a)" - c'est aussi pour cela qu'il est réellement perdu. Ce qui apparait au niveau de l'angoisse, à la place du manque, faisant manquer le manque, ce n'est évidemment pas quelque chose qui se substitue au sein mais bien qui se substitue au corps de la mère, à l'Autre comme tel. "Voilà ce qui nous permet de distinguer le point d'angoisse du point de désir, précise Lacan. Ce qui nous montre qu'au niveau de la pulsion orale, le point d'angoisse est au niveau de l'Autre, et que c'est là que nous l'éprouvons." Lacan d'évoquer ensuite l'image de l'enfant "vampirique" tentant de piller la mère, puis plus directement le mythe du vampire en immortel suceur (et, ajouterons-nous, au moins depuis Dracula, éternel séducteur), figure angoissante s'il en est, car le pillage féroce auquel il se livre ne laisse-t-il pas entrevoir la possibilité d'un tarissement du sein ? Angoisse, car alors le manque ne manque plus, mais c'est à nous confronter à la totalité du corps maternel (ce que figure pour Dracula - version Casanova - la totalité des jolies femmes de ce monde. Le vampire est une langue suceuse sans doute affreuse mais romanesque, bien faite pour représenter ici le phallus.
"Freud nous dit « l'anatomie, c'est le destin. » Vous le savez, je me suis... j'ai pu, à certains moments, m'élever contre cette formule pour ce qu'elle peut avoir d'incomplet. Elle devient vraie - vous le voyez - si nous donnons au terme « anatomie» son sens strict et si je puis dire étymologique, celui qui met en valeur « ana-tomie », la fonction de la coupure, ce par quoi tout ce que nous connaissons de l'anatomie est lié à la dissection. C'est pour autant qu'est concevable ce morcellement, cette coupure du corps propre, et qui là est lieu des moments élus de fonctionnement ; c'est pour autant que le destin, c'est-à-dire le rapport de l'homme à cette fonction qui s'appelle le désir, prend toute son animation. La « sépartition » fondamentale - non pas séparation mais partition à l'intérieur - voilà ce qui se trouve, dès l'origine et dès le niveau de la pulsion orale, inscrit dans ce qui sera structuration du désir. Nul étonnement dès lors à ce que nous ayons été à ce niveau pour trouver quelque image plus accessible à ce qui est resté pour nous - pourquoi ? - toujours jusqu'à présent paradoxe, à savoir : que dans le fonctionnement phallique, dans celui qui est lié à la copulation, c'est aussi l'image d'une coupure, d'une séparation, de ce que nous appelons improprement « castration », puisque c’est une image d’éviration qui fonctionne."LACAN, S.X, 08/05/1963
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