L'expression "demande insistante" est un pléonasme tant il est vrai que toute ligne signifiante, toute énonciation doit former une boucle et donc se répéter pour prendre la structure d'une demande : mais celle-ci ne se répèterait pas si elle n'était pas déçue, puisqu'aucun signifiant ne peut se répéter à l'identique (le signifiant n'est pas seul). La répétition de la demande fait advenir, métonymiquement, un objet qui n'est pas encore l'objet 'a' du désir, car il faut distinguer le vide constitué par la boucle de la demande, où se niche un premier objet, i(a), et le "rien fondamental" qui se constitue du cercle transversal formé par la somme de toutes les demandes (cf. le tore) : ici vient se loger l'objet (a) du désir. Car certes la demande du sujet rencontre l'Autre et même vise l'objet en l'Autre, mais elle ne le trouve que dans un rapport inversé, en ce sens que la demande du sujet correspond à l'objet(a) de l'Autre, et que l'objet(a) du sujet devient la demande de l'Autre. Ceci est inévitable car si le désir se forme dans la marge de la demande, et en un sens au-delà, c'est en simultanéité et non dans un après-coup. Ce rapport d'inversion caractérise exemplairement la structure du névrosé, à savoir que la demande du sujet correspond à l’objet (a) de l’Autre (surtout dans le cas de l'hystérique), tandis que l’objet(a) du sujet devient la demande de l’Autre (surtout dans le cas de l'obessionnel). Ce sur quoi bute le névrosé, entre la demande et l'objet, est typiquement l'image spéculaire, i(a) - où il est notoire que le sujet se méconnait foncièrement - ; le névrosé se fixe sur cette image, produit de la demande, dont il fait un passage obligé pour accéder au (a), support de son désir. Comme ceci n'est pas possible - étant donne que l'objet (a) n'a aucune spécularité - il entreprend de détruire cet image de l'autre, comme en atteste, surtout chez l'obsessionnel, l'insistance des fantasmes sadiques qui sapent l'image tout en préservant - précieusement et quasiment pour l'éternité - l'être de l'autre.
"La première modification du réel en sujet sous l’effet de la demande, c’est la pulsion... Car si nous avons défini la demande en ceci qu'elle se répète et qu'elle ne se répète qu'en fonction du vide intérieur qu'elle cerne... Toute satisfaction saisissable - qu'on la situe sur le versant du sujet ou sur le versant de l'objet - fait défaut à la demande. Simplement, pour que la demande soit demande - à savoir qu'elle se répète comme signifiant - il faut qu'elle soit déçue. Si elle ne l'était pas, il n'y aurait pas de support à la demande. Mais ce vide est différent de ce dont il s'agit concernant (a), l'objet du désir. L'avènement constitué par la répétition de la demande, l'avènement métonymique, ce qui glisse et est évoqué par le glissement même de la répétition de la demande, (a) l'objet du désir, ne saurait aucunement être évoqué dans ce vide cerné ici par la boucle de la demande. Il est à situer dans ce trou que nous appellerons « le rien fondamental » pour le distinguer du vide de la demande, le rien où est appelé à l'avènement l'objet du désir. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire, dans notre transposition signifiée, dans notre expérience, que la demande du sujet, en tant qu'ici deux fois elle se répète, inverse ses rapports D et (a), demande et objet au niveau de l'Autre : que la demande du sujet correspond à l'objet(a) de l'Autre, que l'objet(a) du sujet devient la demande de l'Autre. Ce rapport d'inversion est essentiellement la forme la plus radicale que nous puissions donner à ce qui se passe chez le névrosé : ce que le névrosé vise comme objet, c'est la demande de l'Autre, ce que le névrosé demande, quand il demande à saisir (a), l'insaisissable objet de son désir, c'est (a), l'objet de l'Autre... L’accent est mis différemment selon les deux versants de la névrose : – pour l’obsessionnel, l’accent est mis sur la demande de l’Autre, pris comme objet de son désir, – pour l’hystérique, l’accent est mis sur l’objet de l’Autre, pris comme support de sa demande."LACAN, S.IX, 30/05/1962