Objet a, Fétiche, Sadisme, Masochisme, 1963

Rien n'illustre mieux la fonction de "cause du désir" que l'objet fétiche, lequel n'est pas directement ce que le sujet convoite, mais ce qui soutient son désir, en arrière-plan, venant s'accrocher sur telle ou telle cible. Quant au sujet sadique, c'est bien depuis cette position en (a), structurale, inconsciente, qu'il est à même de causer chez sa victime - au-delà même de la souffrance - cette sorte de dissociation, de béance qui s'éprouve subjectivement dans la sensation d'angoisse, et c'est naturellement pour cette raison même qu'il ne sait pas lui-même ce qu'il cherche... Quoi donc ? Essentiellement se réaliser lui-même comme pur objet pour la jouissance supposée de l'Autre. A contrario, ce but illusoire semble bien conscient chez le sujet masochiste, à ceci près que l'objet vil et dérisoire auquel il s'identifie volontiers, ne fait que jouer sur une scène la place du (a), sans l'incarner réellement. Dans les deux cas, le sujet pervers - sadique ou masochiste - qui se veut "lui-même" objet de son désir, identifié à l'objet, est fondamentalement masochiste.


"Le désir sadique n’est formulable que pour cette schize, cette dissociation, qu’il vise essentiellement à introduire chez l’autre, en lui imposant jusqu’à une certaine limite, ce qui ne saurait être toléré : à la limite exactement suffisante où se manifeste, apparait chez l’autre, cette division, cette béance qu’il y a de son existence de sujet à ceci qu’il subit : qu’il peut pâtir dans son corps. Et c’est tellement de cette distinction, de cette division, de cette béance comme essentielle qu’il s’agit, et qu’il s’agit d’interroger, qu’en fait ce n’est pas tellement la souffrance de l’autre qui est cherchée dans l’intention sadique, que son angoisse... L’angoisse de l’autre, son existence essentielle comme sujet par rapport à cette angoisse, voilà ce que le désir sadique s’entend à faire vibrer... Ce qui caractérise le désir sadique est proprement qu’il ne sait pas que dans l’accomplissement de son acte, de son rite..., c’est ce qu’il cherche. Et que ce qu’il cherche c’est à proprement parler à se réaliser, à se faire apparaître lui-même - à qui ? puisqu’en tout cas à lui-même cette révélation ne saurait rester qu’obtuse - à se faire apparaître lui-même comme pur objet, fétiche noir."
LACAN, S.X, 09/01/1963

Objet a, Cause, Désir, Angoisse, 1963

L'objet (a) n'appartient pas au monde des objets ordinaires, partagés et communiqués dans ce monde, aussi lorsqu'il se manifeste malgré tout, c'est l'angoisse qui subjectivement nous le signale. Il n'est pas davantage à situer dans l'intentionnalité du désir, mais comme sa cause, en quelque sorte "derrière" le désir, dans une antériorité et une extériorité précédant la formation imaginaire du moi au lieu de l'Autre.


"Il y a deux sortes d’objets : ceux qui peuvent se partager, ceux qui ne le peuvent pas... Si j’ai mis en avant le phallus, c’est bien sûr parce que c’est le plus illustre au regard du fait de la castration - mais il y en a, vous le savez, d’autres, d’autres que vous connaissez : les équivalents les plus connus de ce phallus, ceux qui le précèdent, le scybale, le mamelon... Ces objets quand ils entrent en liberté, reconnaissables dans ce champ où ils n’ont que faire, dans le champ du partage, quand ils apparaissent, l’angoisse nous signale la particularité de leur statut. Ces objets antérieurs à la constitution du statut de l’objet commun, de l’objet communicable, de l’objet socialisé, voilà ce dont il s’agit dans le (a)."
LACAN, S.X, 09/01/1963

Désir, Loi, Oedipe, Masochisme, 1963

Le mythe de l'Oedipe pose symboliquement que le désir et la loi sont originellement identiques et demeurent à jamais inséparables, en tant que le désir premier du père pour la mère fait loi et s'impose au reste de la lignée, en même temps qu'il est signifié pour eux comme interdit et réorienté vers autre "chose" que la mère. La loi doit survivre symboliquement au meurtre du père, sinon la loi ne commanderait pas de désirer mais se contenterait de pointer vers la jouissance éternelle du père : c'est le sens même du complexe de castration et c'est pourquoi le symbole du désir doit être noté -ϕ, à la place où perpétuellement l'objet manque. Notons que seul le scénario masochiste parvient à réactualiser simultanément le désir et la loi, certes facticement, puisque le sujet s'y acharne à ce que le désir de l'Autre se réalise, et sur son dos par-dessus le marché, de sorte que cette jouissance de l'Autre devient la loi de son propre désir.


"Le mythe central qui a permis à la psychanalyse de démarrer, qui est le mythe de l'Œdipe. Le mythe de l'Œdipe ne veut pas dire autre chose, c'est : - qu'à l'origine le désir, le désir du père, et la loi sont une seule et même chose ; - et que le rapport de la loi au désir est si étroit que seule la fonction de la loi trace le chemin du désir ; - que le désir, en tant que désir de la mère, pour la mère, est identique à la fonction de la loi: c'est en tant que la loi l'interdit qu'elle impose de la désirer, car après tout la mère n'est pas en soi l'objet le plus désirable. Si tout s'organise autour de ce désir de la mère, si c'est à partir de là que se pose que la femme qu'on doit préférer - car c'est de cela qu'il s'agit - soit autre que la mère : - qu'est-ce que cela veut dire, sinon qu'un commandement s'introduit, s'impose dans la structure même du désir, que pour tout dire : on désire « au commandement », qu'est-ce que tout le mythe de l'Edipe veut dire, sinon que le désir du père c'est cela qui a fait la loi ?"
LACAN, S.X, 16/01/1963

Angoisse, Doute, Certitude, Cause, 1962

Si l'angoisse n'est pas en hors de tout cadre, signifiant, familier, elle ne se ramène pas non plus à une attente, inquiète, face à l'hostile. "L'angoisse, c'est quand apparaît dans cet encadrement, ce qui était déjà là, beaucoup plus près, à la maison, heim..." L'angoisse a bien un objet, c'est l'apparition de cet unheimlich dans le cadre, tellement familier qu'il en est irreconnaissable et irreprésentable. C'est pourquoi l'angoisse est, par excellence, "ce qui ne trompe pas", le "hors de doute", non pas l'incertain mais au contraire le plus certain. L'angoisse est plutôt la cause (réellement, la cause) du doute, qui n'a d'autre fonction que d'éviter l'"affreuse certitude" de l'angoisse.


"Tous les aiguillages sont possibles à partir de quelque chose qui est l'angoisse, ce qui est en fin de compte ce que nous attendions, et qui est la véritable substance de l'angoisse, le « ce qui ne trompe pas », le « hors de doute ». Car, ne vous laissez pas prendre aux apparences : ce n'est pas parce que le lien peut vous paraître cliniquement sensible bien sûr, de l'angoisse au doute, à l'hésitation, au jeu dit ambivalent de l'obsessionnel, que c'est la même chose. L'angoisse n'est pas le doute, l'angoisse c'est la cause du doute...
S'il y a une dimension où nous devons chercher la vraie fonction, le vrai poids, le sens du maintien de la fonction de cause, c’est dans cette direction de l’ouverture de l’angoisse. Le doute, donc, vous dis-je, n’est fait que pour combattre l’angoisse, et justement tout ce que le doute dépense d’efforts, c’est contre des leurres. C’est dans la mesure où ce qu’il s’agit d’éviter, c’est ce qui, dans l’angoisse, se tient d’affreuse certitude."
LACAN, S.X, 12/12/1962

Désir, Vide, Science, Nature, 1962, PASCAL

S'il a manqué - de peu - la découverte du calcul infinitésimal, Pascal en bon janséniste n'a pas manqué de s'intéresser au désir, et donc au vide, contrairement aux savants de son temps reculant devant l'horreur du vide, et donc du désir.


"Et c’est pourquoi - je vous le dis en confidence - il a fait les expériences du Puy de Dôme sur le vide : que la nature ait ou non horreur du vide, c’était pour lui capital, parce que cela signifiait l’horreur de tous les savants de son temps pour le désir... Mais pour Pascal, justement parce que - sinon la nature - toute la pensée jusque là avait eu horreur de ceci : qu’il puisse y avoir quelque part du vide, c’est cela qui se propose à notre attention, et de savoir si nous aussi, nous ne cédons pas de temps en temps à cette horreur."
LACAN, S.X, 12/12/1962

Signifiant, Trace, Sujet, Cause, 1962

L'obsessionnel, selon Lacan, cherche à retrouver, au-delà de la trace mais en deçà du signifiant que représente l'effacement de la trace, la présence d'un signe. Quelle perte cherche-il à conjurer derrière l'obsolescence du signe, sinon celle de l'objet convoité que la présence de l'Autre a rendu inatteignable ? D'où la nécessité d'effacer la trace, justement pour faire croire qu'elle est fausse, effacement où Lacan voit la naissance du signifiant - mais aussi la naissance du sujet en tant qu'il émerge pour se poser dans l'univers du signifiant (grand Autre)... à la fois se révélant (par le signifiant) mais effaçant toute trace matérielle de son passage et de lui-même. Telle est la causalité du sujet, ou causalité du signifiant, orientée sur le fait que « l'Autre ne doit pas savoir » : c'est ce non-savoir qui revient à la face du névrosé sous la forme de sa propre question.


"L'animal - vous dis-je - efface ses traces et fait de fausses traces. Fait-il pour autant, des signifiants? Il y a une chose que l'animal ne fait pas: il ne fait pas de traces fausses pour nous faire croire qu'elles sont fausses. Il ne nous fait pas de traces faussement fausses, si je puis dire, ce qui est un comportement, je ne dirai pas essentiellement humain, mais justement essentiellement signifiant. C'est là qu'est la limite. Vous m'entendez bien : des traces faites pour qu'on les croie fausses et qui sont néanmoins les traces de mon vrai passage, et c'est ce que je veux dire en disant que là se présentifie un sujet, quand une trace a été faite pour qu'on la prenne pour une fausse trace, là nous savons qu'il y a, comme tel, un sujet parlant, et là nous savons qu'il y a un sujet comme cause et la notion même de la cause n'a aucun autre support que celui-là... Nous essayons après de l'étendre à l'univers, mais la cause originelle c'est la cause comme telle d'une trace qui se présente comme vide, qui veut se faire prendre pour une fausse trace. Et qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire indissolublement que le sujet, là au moment où il naît, s'adresse à quoi ? Il s'adresse à ce que brièvement j'appellerai la forme la plus radicale de la rationalité de l'Autre. Car ce comportement n'a aucune autre portée possible que de prendre rang au lieu de l'Autre dans une chaîne de signifiants, de signifiants qui ont, ou n'ont pas, la même origine, mais qui constituent le seul terme de référence possible à la trace devenue signifiante. De sorte que vous saisissez là que, à l'origine, ce qui nourrit l'émergence du signifiant c'est une visée de ce que l'Autre, l'Autre réel, ne sache pas. Le « il ne savait pas » s'enracine dans un « il ne doit pas savoir ». Le signifiant sans doute révèle le sujet, mais en effaçant sa trace."
LACAN, S.X, 12/12/1962

Angoisse, Demande, Jouissance, Autre, 1962

Pourquoi les figures cauchardesques, oppressantes et volontiers jouisseuses, sont-elles en même temps des figures interrogatives (exemplairement le Sphynx) ? Il faut se souvenir que le fantasme du névrosé consiste à placer la demande (et donc la question de l'Autre) en position d'objet du désir (S◊D). Or généralement, l'angoisse surgit lorsqu'un tenant lieu de l'objet (a) occupe la place du manque (- phi). Dans le cas de la névrose, ou du cauchemar, c'est la demande comme telle, devenue surmoi, qui usurpe cette place et qui provoque l'angoisse.


"L’angoisse du cauchemar est éprouvée à proprement parler comme celle de la jouissance de l’Autre. Le corrélatif du cauchemar, c’est l’incube ou le succube, c’est cet être qui pèse de tout son poids opaque de jouissance étrangère sur votre poitrine, qui vous écrase sous sa jouissance... Cet être qui pèse par sa jouissance, est aussi un être questionneur, et même à proprement parler, qui se manifeste, se déploie, dans cette dimension complète, développée, de la question comme telle qui s’appelle « l’énigme »... L’existence de l’angoisse est liée à ceci que toute demande, fût-ce la plus archaïque, la plus primitive, a toujours quelque chose de leurrant, par rapport à ce qui y préserve la place du désir, et que c’est ce qui explique aussi le coté angoissant de ce qui, à cette fausse demande, donne une réponse comblante... Le comblement total d’un certain vide à préserver qui n’a rien à faire avec le contenu ni positif, ni négatif de la demande, c’est là que surgit la perturbation où se manifeste l’angoisse... La demande ici vient indûment à la place de ce qui est escamoté : (a), l’objet."
LACAN, S.X, 12/12/1962

Analyse, Vérité, Guérison, Tiers, 1962

Le champ propre, et l'éthique même de l'expérience psychanalytique, n'est pas de viser la guérison à tout prix - notion des plus floues - mais de permettre au sujet de se reconnecter à un certain ordre tiers - qui n'est pas celui du "bien" mais, pour l'analyste comme pour l'analysant, celui de la vérité.


"Il me souvient avoir provoqué l’indignation de cette sorte de « confrères » qui savent à l’occasion se remparder derrière je ne sais qu’elle enflure de bons sentiments destinée à rassurer je ne sais qui, d’avoir provoqué l’indignation en disant que dans l’analyse, la guérison venait en quelque sorte par surcroît. On y a vu je ne sais quel dédain de celui dont nous avons la charge, de celui qui souffre... Je parlais d’un point de vue méthodologique. Il est bien certain que notre justification comme notre devoir est d’améliorer la position du sujet, mais je prétends que rien n’est plus vacillant, dans le champ où nous sommes, que le concept de « guérison ». Est-ce qu’une analyse qui se termine par l’entrée du patient ou de la patiente dans le tiers-ordre est une « guérison » ?... Je ne pense pas un seul instant m’écarter de notre expérience si mon discours, bien loin de s’en écarter, consiste justement à rappeler qu’à l’intérieur de notre expérience, toutes les questions peuvent se poser, et qu’il faut justement que nous y conservions la possibilité d’un certain fil qui, à nous tout au moins, nous garantisse que nous ne trichons pas avec ce qui est notre instrument même, c’est-à-dire le plan de la vérité."
LACAN, S.X, 12/12/1962

Angoisse, Manque, Objet, Désir, 1962

 L’angoisse n’est pas conséquence d’un manque, mais plutôt annonce d’une potentielle plénitude. Elle ne découle pas d'une nostalgie du passé, ou de la perte des objets désirés, mais de la tentation d'y retourner et d'en jouir. Paradoxalement, la crainte réside non pas dans l'échec, mais dans l'assurance de la réussite. En bref c'est quand le manque vient à manquer que surgit l'angoisse.


"L’angoisse n’est pas le signal d’un manque, mais de quelque chose qu’il faut que vous arriviez à concevoir, à ce niveau redoublé, d’être le défaut de cet appui du manque... Ca n’est pas la nostalgie de ce qu’on appelle le sein maternel qui engendre l’angoisse, c’est son imminence, c’est tout ce qui annonce quelque chose qui nous permettrait d’entrevoir qu’on va y rentrer... Qu’est-ce que l’angoisse en général dans le rapport avec l’objet du désir ? Qu’est ce que nous apprend ici l’expérience si ce n’est qu’elle est tentation, non pas perte de l’objet, mais justement présence de ceci : que les objets ça ne manque pas ! Et pour passer à l’étape suivante, celle de l’amour du surmoi avec tout ce qu’il est censé poser dans la voie dite de l’échec, qu’est-ce que ça veut dire sinon que ce qui est craint, c’est la réussite, c’est toujours le « ça ne manque pas »."
LACAN, S.X, 05/12/1962

Fantasme, Angoisse, Castration, Névrose, 1962

Au-delà de l'image spéculaire i(a) dont nous sommes faits, se trouve, au champ de l'Autre, l'image i'(a) où nous sommes projetés. Si en ce lieu - lieu de notre absence réelle - se manifeste une présence étrangère trop prégnante, l'image spéculaire se découvre en quelque sorte orpheline, sans repère (phallique), et le sentiment d'étrangeté s'empare du sujet, jusqu'à l'angoisse. Car le sujet est alors en position d'incarner l'objet dans le fantasme de l'Autre, ce qu'il peut assumer de différentes manières pour éviter l'angoisse, à la manière perverse ou bien névrosée. Le pervers joue le jeu "loyalement" dit Lacan, inconsciemment il s'offre à la jouissance de l'Autre, mais c'est pour provoquer son angoisse. Le névrosé, lui, chasse l'étrangeté (et donc son angoisse) en visant un objet bien particulier propre à dénier le manque dans l'Autre (soit sa castration), à savoir la demande, la demande incessante réclamée à l'Autre. Il y insiste à proportion de qu'il est incapable de donner lui-même, justement sa propre angoisse. Lacan : "Le vrai objet que cherche le névrosé, est une demande, il veut qu’on lui demande, il veut qu’on le supplie. La seule chose qu’il ne veut pas c’est payer le prix... Ce qu’il faudrait lui apprendre à donner au névrosé, c’est cette chose qu’il n’imagine pas, c’est « rien », c’est justement son angoisse." A cet égard le fait de donner, de confier son symptôme à l'analyste, représente une sorte de pis-aller et un début de solution. Quand il en a fini avec les demandes, apparait le roc de la castration, ce que Freud appelait le destin. En somme le fantasme atténue l'angoisse : étouffer le manque dans l'autre pour éviter d'être étouffé par lui : "Qu’est-ce que l’angoisse en général dans le rapport avec l’objet du désir ? Qu’est ce que nous apprend ici l’expérience si ce n’est qu’elle est tentation, non pas perte de l’objet, mais justement présence de ceci : que les objets ça ne manque pas ! Et pour passer à l’étape suivante, celle de l’amour du surmoi avec tout ce qu’il est censé poser dans la voie dite de l’échec, qu’est-ce que ça veut dire sinon que ce qui est craint, c’est la réussite, c’est toujours le « ça ne manque pas »".

"Ce devant quoi le névrosé recule, ce n’est pas devant la castration : – c’est de faire de sa castration ce qui manque à l’Autre, grand Α, – c’est de faire de sa castration quelque chose de positif qui est la garantie de cette fonction de l’Autre."
"L’homme trouve sa maison en un point situé dans l’Autre [i’(a)], au-delà de l’image dont nous sommes faits [i(a)] et cette place [i’(a)] représente l’absence où nous sommes. À supposer - ce qui arrive - qu’elle se révèle pour ce qu’elle est : la « présence ailleurs », qui fait cette place comme absence. Alors elle est la reine du jeu... En ce point, "heim" ne se manifeste pas simplement, ce que vous savez depuis toujours, à savoir que le désir se révèle comme désir de l’Autre, ici désir dans l’Autre, mais je dirai que mon désir entre dans l’antre où il est attendu de toute éternité sous la forme de l’objet que je suis, en tant qu’il m’exile de ma subjectivité, en « résolvant » par lui-même tous les signifiants à quoi cette subjectivité est attachée... Et le fantasme pris ainsi, qu’est-ce que c’est sinon - ce dont nous nous doutions - un vœu, ein Wunsh, et même, comme tous les vœux, assez naïf. Pour l’exprimer assez humoristiquement, je dirai que S désir de (a), S ◊ a, formule du fantasme, ça peut se traduire dans cette perspective : « Que l’Autre s’évanouisse, se pâme - dirais-je - devant cet objet que je suis, déduction faite de ce que je me vois »."
LACAN, S.X, 05/12/1962

Image spéculaire, Objet a, Phallus, Angoisse, 1962

L'investissement libidinal de l'image spéculaire [i(a)] laisse un reste, que représente le Phallus [-ϕ], sans qu'il ne s'y représente imaginairement (il n'y a pas d'image du manque !). Le Phallus s'absente de l'image du corps tout en privant celui-ci d'une "réserve" libidinale, que tout autre objet peut investir, non sans conserver cette propriété phallique du manque. Mais le lien entre l'image spéculaire et le Phallus est originellement symbolique : l'image i(a) ne se constitue pas sans que les aller-retours de la demande (1 + 1) ne mettent en place la fonction du trait unaire, autrement dit l'image dépend de la possibilité d'un sujet, et non l'inverse. De son côté l'objet (a) reste dissimulé derrière i(a), elle-même phallique, et finalement c'est cette structure de leurre qui soutient le désir au niveau du fantasme. Lorsque l'image i(a) se fissure ou se brouille, se forme un vide (dont le nom propre est le Phallus) que n'importe quel objet peut remplir, avec cette conséquence que -ϕ n'opère plus comme norme et signifiant du manque : avec cette présence étrange et inquiétante (Unheimlich) c'est le manque qui vient à manquer, et c'est l'angoisse qui s'installe.



"Ceci veut dire que ce serait dans la mesure où le sujet pourrait être réellement, et non pas par l’intermédiaire de l’Autre, à la place de Ι, qu’il aurait relation avec ce qu’il s’agit de prendre dans le col de l’image spéculaire originelle [image réelle : i(a), à savoir l’objet de son désir. Ceci, ces deux piliers [i(a) et (a)], sont le support de la fonction du désir, et si le désir existe et soutient l’homme dans son existence d’homme, c’est dans la mesure où cette relation, par quelque détour, est accessible, où des artifices nous donnent accès à la relation imaginaire qui constitue le fantasme. Mais ceci n’est nullement possible d’une façon effective. Ce que l'homme a en face de lui, ce n'est jamais que l'image de ce que dans mon schéma je représentais par ce vase. Ce que l'illusion du miroir sphérique produit ici à l'étage réel, sous une forme d'image réelle [i(a)], il en a l'image virtuelle [i'(a)] avec rien dans son col : le (a), support du désir dans le fantasme, n'est pas visible dans ce qui constitue pour l'homme, l'image de son désir. Cette présence donc ailleurs, en deça - et comme vous le voyez ici, trop près de lui pour être vue si l'on peut dire - du (a), c'est ceci l'initium du désir, et c'est de là que l'image i(a) prend son prestige... Mais plus l'homme s'approche, cerne, caresse ce qu'il croit être l'objet de son désir, plus en fait il en est détourné, dérouté, en ceci justement que tout ce qu'il fait sur cette voie pour s'en rapprocher, donne toujours plus corps à ce qui dans l'objet de ce désir représente l'image spéculaire. Plus il va, plus il veut, dans l'objet de son désir, préserver, maintenir - écoutez bien ce que je vous dis - protéger le côté intact de ce vase primordial qu'est l'image spéculaire - plus il s'engage dans cette voie, qu'on appelle souvent improprement « la voie de la perfection de la relation d'objet », plus il est leurré.
Ce qui constitue l'angoisse, c'est quand quelque chose, un mécanisme, fait apparaître ici à sa place [i(a)] - que j'appellerai, pour me faire entendre, simplement « naturelle » - à la place qui correspond à celle qu'occupe le (a) de l'objet du désir, quelque chose, et quand je dis « quelque chose », entendez n'importe quoi ! Unheimlich c’est ce qui apparaît à cette place. Or ce qui devrait être à cette place - c’est pourquoi je vous l’ai écrit dès aujourd’hui - c’est le - ϕ, le quelque chose qui nous rappelle : – que ce dont tout part, c’est de la castration imaginaire, – qu’il n’y a pas - et pour cause ! - d’image du manque. Quand il apparaît quelque chose là, c’est donc - si je puis m’exprimer ainsi - que le manque vient à manquer. Or ceci pourra vous apparaître une pointe, un concetti bien à sa place, dans mon style dont chacun sait qu’il est gongorique. Eh bien, je m’en fous !"
LACAN, S.X, 28/11/1962

Angoisse, Affect, Refoulement, Désir, 1962

L'angoisse n'est pas une émotion mais un affect. Concernant la nature de l'affect en général, accordons négativement que : 1) il ne correspond à rien de primitif ou d'immédiat, de "protopathique", dans le sujet, 2) et il ne subit aucun refoulement - plutôt une sorte de mouvement erratique -, ce sont ses représentants signifiants qui le sont. Mais la psychanalyse - qui n'est pas une psychologie mais une érotologie - n'a nul besoin d'une théorie général des affects pour désigner l'angoisse comme cet affect essentiel sur lequel se concentrent les effets parmi les plus indésirables... du désir précisément.


"Je n’ai pas pris cette voie dogmatique de faire précéder d’une théorie générale des affects, ce que j’ai à vous dire de l’angoisse. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas ici des psychologues, nous sommes des psychanalystes ! Je ne vous développe pas une psychologie directe, logique, un discours de cette réalité irréelle qu’on appelle psyché, mais une praxis qui mérite un nom : érotologie. Ιl s’agit du désir, et l’affect par où nous sommes sollicités, peut-être, à faire surgir tout ce qu’il comporte comme conséquence universelle, non pas générale sur la théorie des affects, c’est l’angoisse."
LACAN, S.X, 21/11/1962

Objet a, Castration, Autre, Psychanalyse, 1962

L'objet 'a', logiquement déterminé comme objet de la castration (par opposition aux objets de la privation et de la frustration), est cet objet que la psychanalyse, dans ses aspects théoriques, pratiques ou institutionnels, doit reconnaître comme étant son objet propre. Il résulte de la relation du sujet avec le grand Autre du signifiant, au point nodal du "désir de l'Autre" (dit aussi "phallique") où un signifiant vient à manquer pour le sujet, signifiant dont l'objet - par son absence même - garde en quelque sorte la mémoire. Lacan le qualifie d'"acosmique" pour autant qu'il ordonne toute forme d'objectalité dans ce monde sans en faire lui-même partie. Il se range du même côté que le sujet dans la dyade platonicienne : il ne se rencontre jamais, ne se donne jamais à connaître ; d'ailleurs il n'est pas mais "à-être" (ou à-devenir la Chose) précise Lacan. L'objet de la castration reste donc voilé, recouvert par une couche de productions imaginaires (dont l'image narcissique i(a)) ou signifiantes (au titre de retour du refoulé). Ce n'est qu'au niveau du désir de l'Autre qu'il peut se rencontrer ; sa présence se fait insistante dans l'angoisse, dans cette conjoncture où le sujet lui-même devient l'obscur objet d'un tel désir.


"Le rapport de cet objet à l’image du monde qu’il ordonne constitue ce que PLATON a appelé à proprement parler « la dyade », à condition que nous nous apercevions que dans cette dyade le sujet S et le (a) sont du même côté... Par rapport au corrélat de petit(a), à ce qui reste, quand l'objet constitutif du fantasme s'est séparé, être et pensée sont du même côté, du côté de ce (a). Petit(a), c'est l'être en tant qu'il est essentiellement manquant au texte du monde, et c'est pourquoi autour de petit(a) peut se glisser tout ce qui s'appelle retour du refoulé, c'est-à-dire qu'y suinte et s'y trahit la vraie vérité qui, nous, nous intéresse, et qui est toujours l'objet du désir en tant que toute humanité, tout humanisme est construit pour nous la faire manquer. Nous savons par notre expérience qu'il n'y a rien qui pèse dans le monde véritablement que ce qui fait allusion à cet objet dont l'Autre, grand A, prend la place pour lui donner un sens. Toute métaphore, y compris celle du symptôme, cherche à faire sortir cet objet dans la signification, mais toute la pullulation des sens qu'elle peut engendrer n'arrive pas à étancher ce dont il s'agit dans ce trou d'une perte centrale."
LACAN, S.IX, 27/06/1962

Connaissance, Désir, Science, Impossible, 1962, ARISTOTE

Il n'y a pas de sujet de la connaissance - en tout cas une science efficiente ne suppose rien de tel -, mais un sujet du désir dont la fonction est dite, par Lacan, "acosmique". Entendre que toute science prétendant rendre compte, "conaturellement", de son objet, ou toute épistémologie posant les conditions empirico-transcendantales d'une telle connaissance, suppose un objet réel X frappé d'impossible qui caractérise précisément l'objet du désir. Or celui-ci exerce une attraction telle qu'il vient recouvrir d'un "nuage de méconnaissance", pourrait-on dire, la relation épistémique - classique, ou "cosmique" - du sujet et de l'objet.


"Le noyau du désir inconscient et son rapport d'orientation, d'aimantation si l'on peut dire, est absolument central par rapport à tous les paradoxes de la méconnaissance humaine. Et est-ce que son premier fondement ne tient pas en ceci : que le désir humain est une fonction foncièrement « acosmique» ? Ce qui a fait tout le charme, toute la séduction longuement poursuivie de la logique classique, le véritable point d’intérêt de la logique formelle - j’entends celle d’ARISTOTE - c’est ce qu’elle suppose et ce qu’elle exclut et qui est vraiment son point-pivot, à savoir le point de l’impossible en tant qu’il est celui du désir."
LACAN, S.IX, 13/06/1962

Fantasme, Imaginaire, Objet a, Narcissisme, 1962

La "vraie" fonction imaginaire, structurante en tant qu'elle intervient au niveau du désir, est la relation d'objet qui est celle du fantasme fondamental, noté S <> a, où le sujet est séparé de l'objet. Mais elle est toujours dissimulée par la relation narcissique secondaire, la relation à l'image spéculaire i(a), à laquelle sont liés tous les mirages de la mé-connaissance et à laquelle le sujet reste illusoirement identifié. Mais quant aux effets de l'identification symbolique, celle au trait unaire, l'aliénation du sujet ne se compense structurellement que du fantasme, soit la relation à l'objet (a), comme résidu de l'Autre dans sa carence, elle-même, constitutive. On voit clairement, chez l'obsessionnel, comment la quête de l'objet dans son fantasme fondamental reste voilée, et retardée à ses dépends, derrière ses multiples (et vaines) tentative de détruire l'image spéculaire.


"La fonction de l'objet du fantasme, en tant qu'il est terme de la fonction du désir, cette fonction est cachée. Ce qu'il y a de plus efficient, de plus efficace dans la relation à l'objet telle que nous l'entendons dans le vocabulaire actuellement reçu de la psychanalyse, est marqué d'un voilement maximum. On peut dire que la structure libidinale, en tant qu'elle est marquée de la fonction narcissique, est ce qui pour nous recouvre et masque la relation à l'objet. C'est en tant que la relation narcissique, narcissique secondaire, la relation à l'image du corps comme telle, est liée par quelque chose de structural à cette relation à l'objet qui est celle du fantasme fondamental, qu'elle prend tout son poids... Il y a donc deux imaginaires, le vrai et le faux, et le faux ne se soutient que dans cette sorte de subsistance à laquelle restent attachés tous les mirages du « me-connaître »."
LACAN, S.IX, 13/06/1962

Névrose, Demande, Désir, Objet a, 1962

L'expression "demande insistante" est un pléonasme tant il est vrai que toute ligne signifiante, toute énonciation doit former une boucle et donc se répéter pour prendre la structure d'une demande : mais celle-ci ne se répèterait pas si elle n'était pas déçue, puisqu'aucun signifiant ne peut se répéter à l'identique (le signifiant n'est pas seul). La répétition de la demande fait advenir, métonymiquement, un objet qui n'est pas encore l'objet 'a' du désir, car il faut distinguer le vide constitué par la boucle de la demande, où se niche un premier objet, i(a), et le "rien fondamental" qui se constitue du cercle transversal formé par la somme de toutes les demandes (cf. le tore) : ici vient se loger l'objet (a) du désir. Car certes la demande du sujet rencontre l'Autre et même vise l'objet en l'Autre, mais elle ne le trouve que dans un rapport inversé, en ce sens que la demande du sujet correspond à l'objet(a) de l'Autre, et que l'objet(a) du sujet devient la demande de l'Autre. Ceci est inévitable car si le désir se forme dans la marge de la demande, et en un sens au-delà, c'est en simultanéité et non dans un après-coup. Ce rapport d'inversion caractérise exemplairement la structure du névrosé, à savoir que la demande du sujet correspond à l’objet (a) de l’Autre (surtout dans le cas de l'hystérique), tandis que l’objet(a) du sujet devient la demande de l’Autre (surtout dans le cas de l'obessionnel). Ce sur quoi bute le névrosé, entre la demande et l'objet, est typiquement l'image spéculaire, i(a) - où il est notoire que le sujet se méconnait foncièrement - ; le névrosé se fixe sur cette image, produit de la demande, dont il fait un passage obligé pour accéder au (a), support de son désir. Comme ceci n'est pas possible - étant donne que l'objet (a) n'a aucune spécularité - il entreprend de détruire cet image de l'autre, comme en atteste, surtout chez l'obsessionnel, l'insistance des fantasmes sadiques qui sapent l'image tout en préservant - précieusement et quasiment pour l'éternité - l'être de l'autre.


"La première modification du réel en sujet sous l’effet de la demande, c’est la pulsion... Car si nous avons défini la demande en ceci qu'elle se répète et qu'elle ne se répète qu'en fonction du vide intérieur qu'elle cerne... Toute satisfaction saisissable - qu'on la situe sur le versant du sujet ou sur le versant de l'objet - fait défaut à la demande. Simplement, pour que la demande soit demande - à savoir qu'elle se répète comme signifiant - il faut qu'elle soit déçue. Si elle ne l'était pas, il n'y aurait pas de support à la demande. Mais ce vide est différent de ce dont il s'agit concernant (a), l'objet du désir. L'avènement constitué par la répétition de la demande, l'avènement métonymique, ce qui glisse et est évoqué par le glissement même de la répétition de la demande, (a) l'objet du désir, ne saurait aucunement être évoqué dans ce vide cerné ici par la boucle de la demande. Il est à situer dans ce trou que nous appellerons « le rien fondamental » pour le distinguer du vide de la demande, le rien où est appelé à l'avènement l'objet du désir. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire, dans notre transposition signifiée, dans notre expérience, que la demande du sujet, en tant qu'ici deux fois elle se répète, inverse ses rapports D et (a), demande et objet au niveau de l'Autre : que la demande du sujet correspond à l'objet(a) de l'Autre, que l'objet(a) du sujet devient la demande de l'Autre. Ce rapport d'inversion est essentiellement la forme la plus radicale que nous puissions donner à ce qui se passe chez le névrosé : ce que le névrosé vise comme objet, c'est la demande de l'Autre, ce que le névrosé demande, quand il demande à saisir (a), l'insaisissable objet de son désir, c'est (a), l'objet de l'Autre... L’accent est mis différemment selon les deux versants de la névrose : – pour  l’obsessionnel, l’accent est mis sur la demande de l’Autre, pris comme objet de son désir, – pour  l’hystérique, l’accent est mis sur l’objet de l’Autre, pris comme support de sa demande."
LACAN, S.IX, 30/05/1962

Coupure, Sujet, Réel, Répétition 1962

Si une ligne peut engendrer une surface, c'est en tant qu'elle est coupure (accroc, au minimum), et c'est ainsi que le signifiant engendre le sujet, qui lui-même prend la structure d'une surface. Celle du huit intérieur qui peut se former dès que la ligne se recoupe elle-même en faisant boucle. Ce faisant elle détermine un réel du seul fait de sa répétition, mais jamais à identique (car le signifiant est toujours différent), réel dont la fonction est justement de garantir un Même : « Le réel est ce qui revient toujours à la même place ». Seul le réel atteste que la boucle est fermée, et seule la fermeture de la boucle atteste d'un réel. Le signifiant se répète donc au moins une fois (c'est l'expérience de la demande), mais ce qu'il signifie ne peut être retrouvé (la demande ne peut être que déçue) : la répétition engendre une perte, qui, cette fois, va prendre la structure de l'objet...


"La coupure portée sur le réel y manifeste - dans le  réel - ce qui est sa caractéristique et sa fonction, et ce qu’il introduit dans notre dialectique - contrairement à l’usage qui en est fait, que le réel est le divers - le réel, depuis toujours je m’en suis servi de cette fonction originelle, pour vous dire que le réel est ce qui introduit le même, ou plus exactement : « Le réel est ce qui  revient toujours à la même place »... Qu’est-ce à dire, sinon que la section de coupure, autrement dit  le signifiant, étant ce que nous avons dit : toujours différent de lui-même - A  n’est pas identique à A - nul moyen de faire apparaître le même, sinon du côté du réel. Autrement dit la coupure, si je puis m’exprimer ainsi : au niveau d’un pur sujet de coupure, la coupure ne peut savoir qu’elle s’est fermée, qu’elle repasse par elle-même, que parce que le réel, en tant que distinct du signifiant, est le même. En d’autres termes : seul le réel la ferme. Une courbe fermée, c’est le réel révélé... Le signifiant, pour engendrer la différence de ce qu’il signifie originellement, à savoir : « La fois », cette fois-là qui, je vous assure, ne saurait se répéter, mais qui toujours oblige le sujet à la retrouver, cette fois-là exige donc, pour achever sa forme signifiante, qu’au moins une fois le signifiant se répète, et cette répétition n’est rien d’autre que la forme la plus radicale de l’expérience de la demande. Ce qu’est - incarné - le signifiant, ce sont toutes les fois que la demande se répète."
LACAN, S.IX, 30/05/1962

Phallus, Signifiant, Désir, Manque, 1962

Si c'est bien un signifiant et rien d'autre, le signifiant phallique reste unique et hors norme puisqu'il contrarie les caractéristiques essentielles du signifiant en général : 1) il n'est pas différentiel, 2 il peut se signifier lui-même, 3) il est indicible (ou bien le nom qu'on emploie pour le dire ne fait qu'anéantir tous les autres noms). Pour résoudre cette énigme, il faut se souvenir que le phallus est le signifiant du désir, et l'on peut même ajouter du désir comme sexuel. Du désir, et non pas de l'objet du désir, du désirant et non pas du désirable. C'est au point que ce statut de signifiant fondamental du désir, qui est celui du phallus en tant que lui-même se fait désirer (ou "excuser") comme signifiant verbal (il est indicible), amène à établir une équivalence stricte entre "désirer" et "signifier", voire entre désirer et parler. Que le vocable à jamais inadéquat pour le désigner, en son absence, soit celui de "phallus", témoigne suffisamment de la nature sexuelle du manque et du désir dont il s'agit ; non pas un manque naturel de l'ordre du besoin, mais un manque initié par le langage lui-même, lequel fonctionne comme véritable machine à créer du manque, mais aussi de la jouissance (d'abord sexuelle et phallique là encore), mais aussi réactivement, comme refus du manque, de la pulsion de mort.


"J'anticipe et profère que : le phallus dans sa fonction radicale est seul signifiant, mais, quoiqu'il puisse se signifier lui-même, il est innommable comme tel. S'il est dans l'ordre du signifiant, car c'est un signifiant et rien d'autre, il peut être posé sans différer de lui-même. Comment le concevoir intuitivement ? Disons qu'il est le seul nom qui abolisse toutes les autres nominations et que c'est pour cela qu'il est indicible. Il n'est pas indicible puisque nous l'appelons le phallus, mais on ne peut pas à la fois dire le phallus et continuer de nommer d'autres choses...
C’est que le phallus de l’Autre, c’est très précisément ce qui incarne, non pas le désirable, l’ἐρώμενος [eromenos], bien que sa fonction soit celle du facteur par quoi quelque objet que ce soit, soit introduit à la fonction d ’objet du désir, mais celle du désirant, de l’ἐρῶν [eron]. C’est en tant que l’analyste est la présence-support d’un désir entièrement voilé qu’il est ce « Che vuoi ? » incarné."
LACAN, S.IX, 09/05/1962