Sujet, Moi-idéal, Idéal-du-moi, Phobie, 1961

Le sujet apparaît comme barré, dans le fantasme, comme pur sujet de l'inconscient  (de la cédille du "ça" à l'apostrophe du "c'es(t)"), mais il n'est pas réduit au non-être. Même le sujet sadique, dans sa tentative de réduire l'autre au petit 'a', de le forcer à jouir dans la souffrance, ne fait que se mettre en scène comme irréductible sujet : là précisément où comme tout un chacun, pour survivre, il est accroché à l'image spéculaire. Laquelle ne se forme, et ne subsiste, qu'en rapport avec grand I, le signifiant de l'Idéal-du-moi... Car sans la relation à l'Autre d'où provient le trait unaire de l'identification, "ce petit pot - symbole depuis toujours du « créé » - où chacun essaie de se donner, à soi même, quelque consistance" (Lacan parle ici du moi-idéal, i(a)) n'aurait aucune chance d'exister. La phobie est encore un exemple de cette résistance qu'oppose l'image spéculaire pour "sauver" le sujet : "C’est au moment où le désiré se trouve sans défense à l’endroit du désir de l’Autre qui menace le rivage, la limite, i(a), c’est alors que l’artifice éternel se reproduit et que le sujet le constitue : il apparaît comme enfermé dans « la peau de l’ours avant de vous avoir tué », mais c’est une peau de l’ours en réalité retournée et c’est à l’intérieur que le phobique défend l’autre côté de l’image spéculaire." Il la défend, cette image spéculaire, en activant le signal phobique, autrement dit le signifiant phallique. Plus généralement d'ailleurs, la fonction de l'idéal est ce qui régule ordinairement, par assauts de métaphores, la relation d'un sujet à ses objets.


"Genet pointe admirablement ceci que les filles connaissent bien, c'est que : quelles que soient les élucubrations de ces Messieurs assoiffés d'incarner leurs fantasmes, il y a un trait commun à tous, c'est qu'il faut que - par quelque trait dans l'exécution - ça ne fasse pas vrai parce que autrement peut-être, si cela devenait tout à fait vrai, on ne saurait plus où on en est. Il n'y aurait peut-être pas pour le sujet de chances qu'il y survive...
Aussi bien, cette façon d'ordonner l'échelle montante et concordante des objets par rapport au sommet phallique, c'est bien ce qui nous permet de comprendre la liaison de niveau qu'il y a, par exemple, entre l'attaque sadique en tant qu'elle n'est pas du tout une pure et simple satisfaction d'une agression prétendue élémentaire, mais une façon comme telle d'interroger l'objet dans son être, une façon d'y puiser le « ou bien » introduit, à partir du sommet phallique, entre l'être et l'avoir... Forcer un être - puisque c’est là l’essence du  petit(a) - au-delà de la vie, n’est pas à la portée de tout le monde. Ce n’est pas simplement cette allusion qu’il y a des limites naturelles à la contrainte, à la souffrance elle même, c’est que même forcer un être au plaisir n’est pas un problème que nous résolvions si aisément et pour une bonne raison, c’est que c’est nous qui menons le jeu, c’est que c’est de nous qu’il s’agit..."
LACAN, S.VIII, 28/06/1961

Objet a, Phallus, Désir, Sadisme, 1961

Le phallus, comme signifiant, est le dénominateur commun à tous les objets pouvant remplir la fonction du petit 'a' dans le fantasme ; c'est précisément parce qu'il est surinvesti au centre du champ narcissique, que l'objet génital s'absente de la représentation ("cette possibilité essentielle de l’objet phallique d’émerger comme un « blanc » sur l’image du corps") pour laisser place au signifiant phallus. Le désir émerge à partir de ce reste invisible mais d'autant plus fascinant, il vient à s'incarner dans ce qui manque dans l'image. Dans la dialectique du désir, impliquant toujours "autre chose" dès lors que l'être parle et que le phallus symbolise ce manque, les premiers objets de la pulsion eux-mêmes (seins, fèces), se trouvent visés et questionnés dans leur être, voire mis à l'épreuve dans leur résistance à être, entre être et avoir, spécialement dans le fantasme sadique.


"Au cœur de la fonction petit(a), permettant de grouper, de situer les différents modes d’objets possibles, en tant qu’ils interviennent dans le fantasme, il y a le phallus... Mais la caractéristique centrale de cette relation du corps propre au phallus doit être tenue pour essentielle pour voir ce qu’il conditionne après-coup, dans le rapport à tous les objets. Le caractère de : « séparable », « possible à perdre », serait différent s’il n’y avait au centre le destin de cette possibilité essentielle de l’objet phallique d’émerger comme un « blanc » sur l’image du corps, comme une île, comme ces îles de cartes marines où l’intérieur n’est pas représenté mais le pourtour. À savoir qu’il en va de même pour ce qui concerne tous les objets de désir, le caractère d’isolement comme Gestalt de départ est essentiel car on ne dessinera jamais ce qui est à l’intérieur de l’île. On n’entrera jamais à pleines voiles dans l’objet génital..."
LACAN, S.VIII, 21/06/1961
"Je vous l’ai dit, c’est à partir du phallus, de son avènement dans cette dialectique, que s’ouvre - justement, pour avoir été réunie en lui -la distinction de l’être et de l’avoir. Au-delà de l’objet phallique, la question - c’est bien le cas de le dire - s’ouvre à l’endroit de l’objet autrement. Ce qu’il présente ici, dans cette émergence d’île, ce fantasme, ce reflet, où justement il s’incarne comme objet du désir, se manifeste précisément dans l’image - je dirais presque :  la plus sublime - dans laquelle il peut s’incarner, celle que j’ai mise en avant tout à l’heure comme objet de désir : il s’incarne justement dans ce qui à l’image manque."
LACAN, S.VIII, 28/06/1961

Mélancolie, Deuil, Idéal-du-moi, Narcissisme, 1961

Le deuil consiste à authentifier, et finalement accepter, la perte d'un objet d'amour en évoquant chacun de ses traits idéaux, ayant valeur métaphorique, même s'ils répondent chez le sujet à quelques privilèges narcissiques. Le mélancolique, lui, ne parvient pas à cerner l'être de l'objet, pour autant qu'il en faisait un objet de désir, toujours effacé derrière ses attributs : ceux-là ne peuvent que s'enchaîner et s'épuiser métonymiquement, mettant en défaut la pulsion de vie elle-même, a fortiori le sens de la vie. Le sujet s'en prend alors au symbolique lui-même (non à son image narcissique directement) ; c'est à son être qu'il attente à travers ses auto-accusations répétées ("je ne suis rien que"), comme s'il était possible de faire le deuil de soi-même !


"Qu’est-ce qui différencie le deuil de la mélancolie ? Pour le deuil, il est tout à fait certain que c’est autour de la fonction métaphorique des traits conférés à l’objet de l’amour, en tant qu’ils ont alors des privilèges narcissiques, que va rouler toute la longueur et la difficulté du deuil. En d’autres termes, et d’une façon d’autant plus significative qu’il le dit presque en s’en étonnant, FREUD insiste bien sur ce dont il s’agit : le deuil consiste à authentifier la perte réelle, pièce à pièce, morceau à morceau, signe à signe, élément grand I à élément grand I, jusqu'à épuisement. Quand cela est fait: fini ! Mais qu'est-ce à dire si cet objet était un petit(a), un objet de désir, sinon que l'objet est toujours masqué derrière ses attributs : banalité presque. Mais l'affaire commence, comme de bien entendu, seulement à partir du pathologique, c'est-à-dire de la mélancolie où nous voyons deux choses : c'est que l'objet est - chose curieuse - beaucoup moins saisissable pour être certainement présent et pour déclencher des effets infiniment plus catastrophiques, puisqu'ils vont jusqu'au tarissement de ce Trieb que FREUD appelle le Trieb le plus fondamental, celui qui vous attache à la vie."
LACAN, S.VIII, 28/06/1961

Angoisse, Analyste, Désir, Analysant, 1961, SOCRATE

L'angoisse ne se forme pas dans la seule intériorité du sujet, comme tout ce qui concerne le moi elle emprunte le circuit des relations imaginaires avec les alter ego. C'est peu dire que l'angoisse est communicative, notamment chez le névrosé que Lacan qualifie à ce sujet de "vase communicant". Le danger est que l'analyste devienne pareil vecteur de l'angoisse du patient, ce qui se produira s'il transige avec son propre désir... d'analyste. Quel désir ? On parle ici d'une place pure, celle du sujet désirant que doit incarner l'analyste sans qu'il ait précisément à faire montre de son propre désir, donc sans communiquer au patient, fatalement, l'angoisse qui l'accompagne (car oui le désir est angoissant, déstabilisant, dangereux). Pour tenir cette place, l'analyste reste non seulement muet quant à son propre désir (sinon il rétrocèderait du désir à la demande) mais il doit encore, à l'enseigne de Socrate, s'abstenir d'apparaître en quelque façon, quant à sa personne propre, comme une chose désirable. Il apparaît donc que, du point de vue de l'analyste, mais aussi au bénéfice du patient, "le désir est un remède à l’angoisse" - là où l'angoisse se montre, inversement et à peine paradoxalement, "dans un rapport de soutien au désir là où l’objet manque" dit Lacan.


"Ce qu’il s’agit de savoir, c’est dans quel statut actuel vous devez être, vous, quant à votre désir, pour que ne surgisse pas de vous, dans l’analyse, non seulement le signal mais aussi l’énergie de l’angoisse, pour autant qu’elle est là - si elle surgit - toute faite pour se reverser dans l’économie de votre sujet... Regardons-le se profiler ce quelque chose dont je vous ai déjà donné l’indication en vous disant que la place pure de l’analyste, autant que nous pourrons la définir  dans et  par le fantasme, serait la place du désirant - ἐραστής [erastès] ou ἔρόν [erôn] - pur, ce qui voudrait dire ce quelque part où se produit toujours la fonction du désir, à savoir de venir à la place de l’ἐρώμενος [erômenos] ou de l’ἐρώμενον [erômenon], car c’est pour cela que je vous ai fait, au début de l’année, parcourir ce long déchiffrage du Banquet, de la théorie de l’amour. Il faudrait arriver à concevoir que quelque sujet puisse tenir la place du pur désirant, s’abstraire, s’escamoter lui-même dans le rapport à l’autre d’aucune supposition d’être désirable."
LACAN, S.VIII, 14/06/1961

Angoisse, Fantasme, Moi, Désir, 1961, FREUD

Ce qui est en cause dans l'angoisse n'est rien d'autre que le désir du sujet, en tant qu'il se montre menaçant, mais aussi menacé lui-même. Dans l'angoisse, conformément à la structure du fantasme, l'investissement psychique se porte sur la place du sujet en tant qu'elle peut être occupée par i(a), l'image spéculaire, face à l'objet 'a' du désir (désinvesti). L'image spéculaire, qui est foncièrement l'image de l'autre, siège de toute agressivité, subirait quelque atteinte en raison d'une menace provenant de l'objet : à quoi répondrait le signal d'angoisse du côté du sujet, pour protéger l'image (narcissique, donc par définition, ne supportant pas les atteintes, et indissociablement, là encore par définition, image du moi et image de l'autre). Entre la détresse sans recours et la fuite effective, l'angoisse creuse le trou sans fond d'un présent insupportable, d'autant plus qu'elle n'a nullement pour fonction d'annuler le désir mais bien au contraire de le soutenir (jusque dans l'insoutenable), d'en maintenir la tension, là où l'objet manque.


"Pour que se produise l’angoisse, l’investissement du petit a est reporté sur le S. Seulement le S n’est pas quelque chose de saisissable. Il ne peut être conçu que comme une place, puisque ce n’est même pas ce point de réflexivité du sujet qui se saisirait, par exemple, comme désirant. Le sujet ne se saisit pas comme désirant, mais dans le fantasme la place où il pourrait - si j’ose dire - se saisir comme tel, comme désirant, est toujours réservée... C’est l’image (i(a)), le fantôme narcissique qui vient remplir dans le fantasme la fonction de se coapter au désir, l’illusion de tenir son objet, si l’on peut dire. Dès lors, si S est cette place qui peut de temps en temps se trouver vide, à savoir que rien ne vienne s’y produire de satisfaisant concernant le surgissement de l’image narcissique, nous pouvons concevoir que c’est peut-être bien à cela, à son appel, à quoi répond la production du signal d’angoisse."
LACAN, S.VIII, 14/06/1961

Angoisse, Altruisme, Moi, Objet a, 1961

Ce que ne supporte pas le moi narcissique, par définition, c'est bien que son image puisse être abîmée... Comment, sinon en abîmant l'image du semblable avec laquelle celle du sujet est liée, comme cul et chemise pourrait-on dire, et même davantage en parlant d'identification ? L'altruisme ne serait donc qu'une couverture par laquelle le moi se protège... contre quoi, sinon de la dangerosité potentielle du désir, en particulier de l'objet petit 'a' auquel le sujet fait face dans la structure de son fantasme, objet de nature à perturber sinon "outrager" l'image. De sorte que la pitié, la compassion, pourrait servir de rempart ordinaire contre un mal bien plus redoutable pour le moi, à savoir l'angoisse, laquelle ne manquerait pas de surgir si l'image narcissique se trouvait menacée.


"S’il se laisse apercevoir, ce signal d’angoisse, c’est bien de l’alter ego, de l’autre qui constitue son « moi », que le sujet peut le recevoir. Il y a quelque chose ici que je voudrais pointer. Vous m’avez entendu longtemps vous avertir des dangers de l’altruisme. Méfiez-vous, vous ai-je dit implicitement et explicitement, des pièges du Mitleid, la pitié, de ce qui nous retient de faire du mal à l’autre, à « la pauvre gosse », moyennant quoi on l’épouse et on est pour longtemps emmerdés tous les deux... C’est qu’en fait le précieux Mitleid, cet altruisme - pour le sujet qui se méconnaît - n’est que la couverture d’autre chose, et vous l’observerez toujours à condition toutefois d’être dans le plan de l’analyse. Travaillez un peu le Mitleid d’un obsessionnel et ici le premier temps est de s’apercevoir (...) que ce qu’il respecte, ce à quoi il ne veut pas toucher dans l’image de l’autre, c’est à sa propre image."
LACAN, S.VIII, 14/06/1961

Angoisse, Phobie, Désir, Phallus, 1961

La phobie est bien faite pour illustrer que "l'angoisse est le mode radical sous lequel est maintenu le rapport au désir" dit Lacan. Mais avec la phobie il ne s'agit pas non plus de l'angoisse comme telle, car si l'objet y est bien le signe d'un désir maintenu, quoique refoulé, c'est de tenir la place de Ф, le phallus symbolique, qui pourra se décliner (dans l'exemple du petit Hans) sous la figure du père, en tant que cette fonction s'y montre justement défaillante. Donc si l'objet phobique se fait sans conteste angoissant, il reste, malgré tout, un substitut à l'angoisse pure où le désir se montrerait sans fard, sans objet, insoutenable.


"Donc la phobie c’est bien ceci : le soutien, le maintien, du rapport au désir dans l’angoisse, mais avec quelque chose de supplémentaire, de plus précis. Ce n’est pas le rapport d’angoisse tout seul. C’est que la place de cet objet, en tant qu’il est visé par l’angoisse, est tenue par ce que je vous ai expliqué - longuement, à propos du petit Hans - être la fonction de l’objet phobique, à savoir Ф , grand phi, le  phallus symbolique en tant qu’il est  le joker dans les cartes, à savoir qu’il s’agit bien dans l’objet phobique du phallus, mais c’est un  phallus qui prendra la valeur de tous les signifiants, celle du père à l’occasion... C’est bien entendu que déjà dans l’objet de la phobie il y a cette possibilité infinie de tenir une certaine fonction  manquante, déficiente, qui est justement ce devant quoi le sujet va succomber si ne surgissait pas à cette place l’angoisse."
LACAN, S.VIII, 14/06/1961

Demande, Amour, Désir, Richesse, 1961

Toute demande cherche avant tout à être entendue inconditionnellement, quelque soit l'objet demandé ; c'est en quoi toute demande est essentiellement une demande d'amour. Or cette secondarisation, en quelque sorte, de l'objet de la demande creuse le lit du désir. Ou plutôt ce dernier surgit de la métaphore substituant le désirant au désiré, dès lors que le "rien" de la demande (d'amour) implique bien le manque et le désir de l'Autre. C'est par le manque que l'amour est chevillé au désir, du fait qu'il consiste, selon la formule de Lacan, à "donner ce qu'on n'a pas". C'est ce qui explique le rapport difficile que les riches entretiennent avec l'amour, et ce pourquoi le commun des mortels ne les aime pas beaucoup ; car les riches doivent, en quelque manière, refuser de donner ou bien acheter au rabais pour susciter le désir et rencontrer l'amour (sinon ils seraient inhibés par leurs "avoirs", parfois jusqu'à l'impuissance). Comment provoquer le désir de l'Autre, au-delà de la convoitise, quand on connait l'infortune d'être riche ? L'inverse pour le Saint, qui sous l'apparence d'une extrême pauvreté dispose et jouit potentiellement de tous les avoirs, de toute la puissance de Dieu...


"L’amour, nous l’avons dit, ne se conçoit que dans la perspective de la demande : il n’y a d’amour que pour un être qui peut parler. La dimension, la perspective, le registre de l’amour se développe, se profile, s’inscrit dans ce qu’on peut appeler l’inconditionnel de la demande : c’est ce qui sort du fait même de demander, quoi qu’on demande, simplement pour autant non pas, qu’on demande quelque chose, ceci ou cela, mais dans le registre et l’ordre de  la demande en tant que pure, qu’elle n’est que demande d’être entendue. Je dirai plus : d’être entendue pour quoi ? Eh bien d’être entendue pour quelque chose qui pourrait bien s’appeler « pour rien ». Ce n’est pas dire que ça ne nous entraîne pas fort loin pour autant car, impliquée dans ce  pour rien, il y a déjà, la place du désir. C’est justement  parce que la demande est inconditionnelle que ce dont il s’agit ce n’est pas le désir de ceci ou de cela, mais c’est le désir tout court... Ce que nous ne devons pas oublier, c’est que l’amour comme tel - je vous l’ai toujours dit et nous le retrouverons nécessité par tous les bouts - c’est donner ce qu’on n’a pas. Et on ne peut aimer qu’à se faire comme « n’ayant pas », même si l’on a. L’amour comme réponse implique le domaine du « non-avoir ». Ce n’est pas moi, c’est Platon qui l’a inventé, qui a inventé que seule la misère : Πενία [Penia], peut concevoir l’Amour [Ἔρως] et l’idée de se faire engrosser un soir de fête. Et en effet, donner ce qu’on a, c’est la fête, ce n’est pas l’amour...
D’où, pour le riche, ça existe et même on y pense, aimer ça nécessite toujours de refuser. C’est même ce qui agace. Il n’y a pas que ceux à qui on refuse qui sont agacés, ceux  qui refusent, les riches, ne sont pas plus à l’aise. Cette Versagung  du riche, elle est partout, elle n’est pas simplement le trait de l’avarice, elle est beaucoup plus constitutive de la position du riche, quoi qu’on en pense... Ce qu’il y a de certain c’est que la richesse a une tendance à rendre impuissant. Une vieille expérience d’analyste me permet de vous dire qu’en gros je tiens ce fait pour acquis. Le riche est forcé d’acheter puisqu’il est riche. Et pour se rattraper, pour essayer de retrouver la puissance, il s’efforce en achetant au rabais de dévaloriser, c’est de lui que ça vient, c’est pour sa commodité, pour ça le moyen le plus simple par exemple, c’est de ne pas payer. Ainsi quelquefois il espère provoquer ce qu’il ne peut jamais acquérir directement, à savoir le désir de l’Autre."
LACAN, S.VIII, 07/06/1961

Demande, Amour, Désir, Richesse, 1961

Toute demande cherche avant tout à être entendue inconditionnellement, quelque soit l'objet demandé ; c'est en quoi toute demande est essentiellement une demande d'amour. Or cette secondarisation, en quelque sorte, de l'objet de la demande creuse le lit du désir. Ou plutôt ce dernier surgit de la métaphore substituant le désirant au désiré, dès lors que le "rien" de la demande (d'amour) implique bien le manque et le désir de l'Autre. C'est par le manque que l'amour est chevillé au désir, du fait qu'il consiste, selon la formule de Lacan, à "donner ce qu'on n'a pas". C'est ce qui explique le rapport difficile que les riches entretiennent avec l'amour, et ce pourquoi le commun des mortels ne les aime pas beaucoup ; car les riches doivent, en quelque manière, refuser de donner ou bien acheter au rabais pour susciter le désir et rencontrer l'amour (sinon ils seraient inhibés par leurs "avoirs", parfois jusqu'à l'impuissance). Comment provoquer le désir de l'Autre, au-delà de la convoitise, quand on connait l'infortune d'être riche ? L'inverse pour le Saint, qui sous l'apparence d'une extrême pauvreté dispose et jouit potentiellement de tous les avoirs, de toute la puissance de Dieu...


"L’amour, nous l’avons dit, ne se conçoit que dans la perspective de la demande : il n’y a d’amour que pour un être qui peut parler. La dimension, la perspective, le registre de l’amour se développe, se profile, s’inscrit dans ce qu’on peut appeler l’inconditionnel de la demande : c’est ce qui sort du fait même de demander, quoi qu’on demande, simplement pour autant non pas, qu’on demande quelque chose, ceci ou cela, mais dans le registre et l’ordre de  la demande en tant que pure, qu’elle n’est que demande d’être entendue. Je dirai plus : d’être entendue pour quoi ? Eh bien d’être entendue pour quelque chose qui pourrait bien s’appeler « pour rien ». Ce n’est pas dire que ça ne nous entraîne pas fort loin pour autant car, impliquée dans ce  pour rien, il y a déjà, la place du désir. C’est justement  parce que la demande est inconditionnelle que ce dont il s’agit ce n’est pas le désir de ceci ou de cela, mais c’est le désir tout court... Ce que nous ne devons pas oublier, c’est que l’amour comme tel - je vous l’ai toujours dit et nous le retrouverons nécessité par tous les bouts - c’est donner ce qu’on n’a pas. Et on ne peut aimer qu’à se faire comme « n’ayant pas », même si l’on a. L’amour comme réponse implique le domaine du « non-avoir ». Ce n’est pas moi, c’est Platon qui l’a inventé, qui a inventé que seule la misère : Πενία [Penia], peut concevoir l’Amour [Ἔρως] et l’idée de se faire engrosser un soir de fête. Et en effet, donner ce qu’on a, c’est la fête, ce n’est pas l’amour...
D’où, pour le riche, ça existe et même on y pense, aimer ça nécessite toujours de refuser. C’est même ce qui agace. Il n’y a pas que ceux à qui on refuse qui sont agacés, ceux  qui refusent, les riches, ne sont pas plus à l’aise. Cette Versagung  du riche, elle est partout, elle n’est pas simplement le trait de l’avarice, elle est beaucoup plus constitutive de la position du riche, quoi qu’on en pense... Ce qu’il y a de certain c’est que la richesse a une tendance à rendre impuissant. Une vieille expérience d’analyste me permet de vous dire qu’en gros je tiens ce fait pour acquis. Le riche est forcé d’acheter puisqu’il est riche. Et pour se rattraper, pour essayer de retrouver la puissance, il s’efforce en achetant au rabais de dévaloriser, c’est de lui que ça vient, c’est pour sa commodité, pour ça le moyen le plus simple par exemple, c’est de ne pas payer. Ainsi quelquefois il espère provoquer ce qu’il ne peut jamais acquérir directement, à savoir le désir de l’Autre."
LACAN, S.VIII, 07/06/1961

Identification, Idéal-du-moi, Moi-idéal, Trait unaire, 1961

L'idéal du moi et le moi-idéal correspondent à deux types d'identification, respectivement symbolique et imaginaire : le premier est une introjection symbolique (à partir d'un "trait unaire" prélevé sur l'Autre) et le second une projection imaginaire [i(a)] depuis le corps (également de l'autre) - mais sans la fonction primordiale du trait unaire, il n'y aurait de toute façon aucun Autre (l'imaginaire seul s'en tient à une dualité en miroir), donc aucune identification, pas plus imaginaire que symbolique.


"La distinction radicale de l’idéal du moi - en tant qu’il n’y a pas tellement à supposer d’autre  introjection  possible - et du moi idéal, c’est que : – l’un est  une introjection symbolique,  comme toute introjection : l’idéal du moi  [« de l’autre coté du miroir »], – alors que le moi idéal est la source d’une projection imaginaire [i(a)]. Que ce qui se passe au niveau de l’un : que la satisfaction narcissique se développe dans le rapport au moi idéal, dépend de la possibilité de référence à ce terme symbolique primordial qui peut être monoformel, monosémantique : ein einziger Zug »."
LACAN, S.VIII, 07/06/1961

Parole, Métalangage, Sujet, Discours, 1961

« Il n’y a pas de métalangage » au niveau de cet acte de langage, engageant par définition un sujet, qu'est la parole concrète et plus précisément le discours. Car alors il est impossible de faire abstraction - littéralement d'en tirer une abstraction - des conditions comme des conséquences de son énonciation.


« Il n’y a pas de métalangage ». Il peut y avoir un  métalangage au tableau noir, quand j’écris des petits signes, a, b, x, kappa, ça court, ça va et ça fonctionne, c’est les mathématiques. Mais concernant ce qui s’appelle « la parole », à savoir qu’un sujet s’engage dans le langage, on peut parler de la parole sans doute, et vous voyez que je suis en train de le faire, mais ce faisant sont engagés tous les effets de la parole, et c’est pour ça qu’on vous dit qu’au niveau de la parole « Il n’y a pas de métalangage », ou si vous voulez  qu’il n’y a pas de métadiscours. »
LACAN, S.VIII, 31/05/1961

Dénégation, Refus, Sujet, Signifiant, 1961

La versagung ne doit pas être interprétée comme une simple frustration, la possibilité d'un écart par rapport à une situation supposée normale, mais plutôt comme une défaillance originelle, voire existentielle, de l'ordre du refus et du renoncement. La bifurcation vers la névrose, ou la psychose, etc., intervient après cette disposition qui ne dit rien d'autre (c'est la possibilité même du dire, sagen), étant donné le signifiant, que la possibilité pour le sujet parlant de se refuser.


« Pour dire les choses massivement et d’une façon qui me permet de  repérer à sa racine ce dont il s’agit ici : à l’origine de toute névrose, comme Freud le dit dès ses premiers écrits, il y a non pas  ce qu’on a interprété depuis comme une frustration, quelque chose comme ça, un arriéré laissé ouvert dans l’informe, mais une Versagung, c’est-à-dire quelque chose qui est beaucoup plus près du refus que de la frustration, qui est autant interne qu’externe, qui est vraiment mis par Freud en une position - connotons-la de ce terme, qui a tout au moins  des résonances vulgarisées par notre langage contemporain - dans une position « existentielle ». Cette position ne met pas la normale, la possibilité de la Versagung [dénégation], puis la  névrose, mais une  Versagung originelle au-delà de quoi il y aura la voie, la bifurcation, soit de la  névrose,  soit de la  normale, l’une ne valant ni plus ni moins que l’autre par rapport à ce départ de la possibilité de la Versagung. Et ce que le terme de « sagen » [dire] impliquait dans cette  Versagung intraduisible  saute aux yeux, ce n’est  possible  que dans le registre du « sagen » ,  je veux dire : en tant que le « sagen » n’est pas simplement l’opération de la communication mais le « dire », mais l’émergence comme telle du signifiant en tant qu’il permet au sujet de se refuser. »
LACAN, S.VIII, 24/05/1961

Désir, Castration, Phallus, Père, 1961

 La castration est fondatrice du sujet du désir, en tant que celui-ci est manque, et en tant que ce manque est désigné par le phallus. Pourquoi ? Parce que le phallus est l'instrument même du désir élevé à la fonction de signifiant, et venant à ce titre à la place du possesseur dudit, soit le père mort, énonciateur de la loi.


"La castration et son problème sont identiques à ce que j’appellerai la constitution du sujet du désir comme tel : non pas du sujet du besoin, non pas du sujet frustré, mais du sujet du désir. Parce que la castration est identique à ce phénomène qui fait que l’objet de son manque, au  désir - puisque le désir est manque - est dans notre expérience identique à l’instrument même du désir : le phallus. Je dis bien que l’objet de son manque, au désir - quel qu’il soit, même sur un autre plan que le plan génital - pour être caractérisé comme objet du désir, et non pas de tel ou tel besoin frustré, il faut qu’il vienne à la même place symbolique que vient remplir l’instrument même du désir, le phallus, c’est-à-dire cet instrument, en tant qu’il est porté à la fonction de signifiant... Et pourquoi cet instrument est-il porté à la fonction du signifiant ? Justement pour remplir cette place dont je viens de parler : symbolique. Quelle est-elle cette place ? Eh bien, justement elle est la place du point mort occupé par le père en tant que déjà mort : je veux dire en tant que du seul fait qu’il est celui qui articule la loi, sa voix ne peut que défaillir derrière... La loi, pour tout dire, pour s’instaurer comme loi, nécessite comme antécédent la mort de celui qui la supporte."
LACAN, S.VIII, 10/05/1961