Objet a, Oralité, Analité, Autre, 1963

Avant d'être cet objet externe qu'est le sein, appartenant au corps de la mère, c'est le sujet lui-même qui incarne l'objet (a) dès sa naissance, à cette place de la mamelle, plaqué sur le corps maternel comme pour le compléter. Au niveau anal, le sujet peut déjà se reconnaitre dans un objet distinct et séparé, faisant l'objet de toutes les demandes de la mère.


"Au niveau du stade oral le fond de ce dont il s’agit, c’est que dans l’objet(a) du stade oral - le sein, le mamelon, ce que vous voudrez - le sujet se constituant à l’origine, aussi bien que s’achevant dans le commandement de la voix : – le sujet ne sait pas, ne peut pas savoir jusqu’à quel point il est lui-même - e.s.t. - cet être plaqué sur le poitrail de la mère, sous la forme de la mamelle,  après avoir été également ce parasite plongeant ses villosités dans la muqueuse utérine sous la forme du placenta. – Il ne sait pas, il ne peut pas savoir que (a), le sein, le placenta, c’est la réalité de lui : (a), par rapport à l’Autre, grand A. – Il croit que (a) c’est l’Autre, et qu’ayant affaire à (a), il a affaire à l’Autre, au Grand Autre, à la mère. Donc, par rapport à ce stade, au niveau anal, c’est pour la première fois qu’il a l’occasion de se reconnaître en quelque chose, en un objet autour de quoi tourne, car elle tourne cette demande de la mère dont il s’agit : « Garde-le, donne-le ». Et si je le donne, où est-ce que ça va ?"
LACAN, S.X, 19/05/1963

Cause, Objet a, Désir, Symptôme, 1963

 L'objet (a) se présente toujours dans une fonction de cause, précisément comme cause d'un désir puisque "la cause pour subsister dans sa fonction mentale, nécessite toujours l’existence d’une béance entre elle et son effet". Ce qui ne signifie pas que l'objet-cause, à défaut de satisfaire le désir, ne produise pas un résultat concret, en l'occurence le symptôme.


"Par rapport au désir, l’objet(a) se présente toujours en « fonction de cause » au point d’être pour nous - possiblement, si vous m’entendez, si vous me suivez - le point racine où s’élabore dans le sujet la fonction de la cause même. Si c’est là cette forme primordiale, la cause d’un désir, en quoi j’ai souligné pour vous qu’ici se marque la nécessité par quoi la cause pour subsister dans sa fonction mentale, nécessite toujours l’existence d’une béance entre elle et son effet. Béance si nécessaire pour que nous puissions penser encore « cause », que là où elle risquerait d’être comblée, il faut que nous fassions subsister un voile sur le déterminisme étroit, sur les connexions par où agit la cause... L’origine de cette nécessité de subsistance de la cause est dans ceci : que sous sa forme première elle est cause du désir, c’est-à-dire de quelque chose d’essentiellement non effectué."
LACAN, S.X, 19/05/1963

Amour, Jouissance, Femme, Autre, 1963

 La femme est contrainte d'aimer l'homme en un point situé au-delà de ce qui arrête son désir, en un point où l'homme - en quelque sorte châtré - n'a plus rien à donner. S'il est vrai, comme le dit Lacan à propos de la femme, que sa propre jouissance "s’écrase dans la nostalgie phallique", au moment où elle survient il est trop tard pour s'unir à l'Autre, sauf métaphoriquement, dans l'amour.


"Le fait que le désir mâle rencontre sa propre chute avant l’entrée dans la jouissance du partenaire féminin, de même que la jouissance, si l’on peut dire, de la femme s’écrase - pour reprendre un terme emprunté à la phénoménologie du sein et du nourrisson - s’écrase dans la nostalgie phallique, et dès lors est nécessitée, je dirai presque condamnée à n’aimer l’autre - mâle – qu’en un point situé au-delà de ce qui, elle aussi, l’arrête comme désir. Cet au-delà, où l’Autre masculin est visé dans  l’amour, c’est un au-delà, disons-le bien : soit transverbéré par la castration, soit transfiguré en termes de puissance, ce n’est pas l’autre, en tant qu’à l’autre il s’agirait d’être uni. La jouissance de la femme est en elle-même, elle ne la conjoint pas à l’Autre... L’homme n’est dans la femme que par délégation de sa présence, sous la forme de cet organe caduc, de cet organe dont il est fondamentalement, dans la relation sexuelle et par la relation sexuelle, châtré. Ceci veut dire que les métaphores du don ici ne sont que métaphores, que - comme il n’est que trop évident - il ne donne rien."
LACAN, S.X, 19/05/1963

Angoisse, Objet a, Analité, Obsession, 1963

Freud a désigné l'angoisse comme signal d'un danger. Lacan ajoute que ce sentiment de danger ce rapport au désir de l'Autre, et plus précisément au fait "que je ne sais pas quel objet petit(a) je suis pour ce désir". L'angoisse est d'autant plus prégnante que l'objet - parmi ses différentes occurrences - apparaît comme immédiatement détachable ou "cessible" (selon sa nature propre), soit l'objet anal, ce qui se confirme par l'importance toute particulière de l'angoisse dans la clinique de l'obsessionnel.


"Un objet choisi pour sa qualité d’être spécialement cessible, d’être originellement un objet lâché... Cet objet qu’il ne peut s’empêcher de retenir comme le bien qui le fait valoir, mais qui n’est aussi de lui que le déjet, la déjection, voilà les deux faces par où il détermine le sujet même comme compulsion et comme doute. C’est de cette oscillation même entre ces deux points extrêmes que dépend le passage, le passage momentané, possible, du sujet par ce point zéro, où c’est en fin de compte entièrement à la merci de l’autre - ici au sens duel, du petit autre - que se trouve le sujet...
Et cet objet est le principe qui me fait désirer, qui me fait désirant d’un manque, qui n’est pas un manque du sujet, mais un défaut fait à la jouissance qui se situe au niveau de l’Autre. Et c’est en cela que toute fonction du petit(a) ne se réfère qu’à cette béance centrale qui sépare au niveau sexuel le désir du lieu de la jouissance, qui nous condamne à cette nécessité qui veut que la jouissance ne soit pas « de nature » pour nous, promise au désir, que le désir ne peut faire que d’aller à sa rencontre, que pour la rencontrer le désir ne doit pas seulement comprendre mais franchir le fantasme même qui le soutient et le construit."
LACAN, S.X, 03/07/1963

Obsession, Désir, Cause, Oralité, 1963

L'obsessionnel vit son désir sur le mode d'un "ne pas pouvoir s'empêcher" de le rendre impossible. L'oralité présente à tous les niveaux de sa phénoménologie (cf. la métaphore du robinet) entre dans cette configuration d'un "désir-défense", dont elle n'est pas la cause.


"Qu’est-ce qu’est le symptôme : c’est la fuite du robinet. Le passage à l’acte c’est l’ouvrir, mais l’ouvrir sans savoir ce qu’on fait. Telle est la caractéristique du passage à l’acte : quelque chose se produit où se libère une cause par des moyens qui n’ont rien à faire avec cette cause. Car, comme je vous l’ai fait remarquer, le robinet ne joue sa fonction de cause qu’en tant que tout ce qui peut en sortir, vient d’ailleurs. C’est parce qu’il y a l’appel du génital, avec son trou phallique au centre, que tout ce qui peut se passer au niveau de l’anal entre en jeu parce qu’il prend son sens. Quant à l’acting-out, si nous voulons le situer par rapport à la métaphore du robinet, ce n’est pas le fait d’ouvrir le robinet, comme fait l’enfant sans savoir ce qu’il fait, c’est simplement de la présence ou non du jet. L’acting-out c’est le jet, c’est-à-dire ce qui se produit toujours d’un fait qui vient d’ailleurs que de la cause sur laquelle on vient d’agir."

LACAN, S.X, 26/06/1963

Objet a, Pulsion, Obsession, Autre, 1963

Etayant la relation de dépendance originelle du sujet à l'Autre, Lacan distingue formellement (et non génétiquement) 5 étages dans la constitution de l'objet (a). Au niveau du rapport à l'objet oral, correspond le besoin dans l'Autre (il n'y a pas de "sujet du besoin" initial, Lacan rappelle que la mamelle fait d'abord partie du monde intérieur du sujet, enjeu certes vital, mais le "besoin de relation" vient de l'Autre). Pour le rapport à l'objet anal, nous avons en face la demande dans l'Autre, demande éducative par excellence, dont l'objet fécal constitue le reste et la chute. Ensuite, la relation génitale se présente comme rapport au manque comme tel, noté -ϕ, qui donne sa tonalité sexuelle à l'ensemble de la vie pulsionnelle, et à tous les autres objets (a) : lui correspond la jouissance dans l'Autre, supposée. A l'étage scopique, typiquement celui du fantasme, correspond la puissance dans l'Autre, soit un parangon de possession évidemment illusoire. A l'étage supérieur de la voix, reçue comme commandement, se tient en face le désir dans l'Autre. C'est ce désir - essentiellement refoulé - qui génère l'angoisse, exemplairement chez l'obsessionnel : il y répond en forçant sur la demande, en forçant l'Autre à lui demander (comme si le désir pouvait se demander), de sorte qu'il s'en tient à la relation anale pour se protéger de toute relation de désir.


 

"C'est dans la mesure du retour de ce désir dans l'Autre, en tant qu'il est chez lui essentiellement refoulé, que tout est commandé dans la symptomatologie de l'obsessionnel, et nommément dans les symptômes où la dimension de la cause est entraperçue comme Angst. La solution, on la connaît aussi dans le phénomène : pour couvrir le désir de l'Autre, l'obsessionnel a une voie, c'est le recours à sa demande. Observez un obsessionnel dans son comportement biographique, ce que j'ai appelé tout à l'heure « ses tentatives de passage » à l'endroit du désir. Ses tentatives, fussent-elles les plus audacieuses, elles sont toujours marquées d'une condamnation originelle à rejoindre leur but. Si raffinées, si compliquées, si luxuriantes et si perverses que soient ses tentatives de passage, il lui faut toujours se les faire autoriser, il faut que l'Autre lui demande ça... C’est, dans la mesure où l’évitement de l’obsessionnel est la couverture du désir dans l’Autre par la demande dans l’Autre, c’est dans cette mesure que (a), l’objet de la cause, vient se situer là où la demande domine, c’est-à-dire au stade anal où (a) est, non pas seulement l’excrément purement et simplement comme ça : c’est l’excrément en tant que demandé."
LACAN, S.X, 12/05/1963

Objet a, Symptôme, Cause, Angoisse, 1963

Rappelons que l'objet (a) n'est pas l'objet du désir, mais sa cause. Il est également impliqué dans l'angoisse dont Lacan dit qu'elle est la sensation du désir de l'Autre, et de l'abyssale dépendance du sujet par rapport à ce désir. N'oublions pas que l'objet est présent dès la constitution du sujet au lieu de l’Autre, division signifiante dont il est, proprement, le reste. Dans le cas de l'obsessionnel, l'une des fonctions du symptôme est précisément de différer l'angoisse : d'ailleurs elle ne manque pas de s'inviter à la première occasion, au premier raté de la mécanique compulsionnelle. Quel rapport entre le symptôme, l'objet et la cause ? Le symptôme est identifié comme tel par le sujet névrosé, dès lors qu'il est capable de se formuler que "quelque chose cloche" et donc qu'"il y a une cause à tout ça" : c'est bien ce qui l'amène en analyse (il ne sait pas encore qu'il s'agit de cet énigmatique (a)). Au niveau du symptôme, c'est évidemment la cause qui pose question, une question dont le résultat serait précisément le symptôme. Tandis que l'effet, précise Lacan, serait le désir... mais en tant que non effectué, puisque c'est lui qui reste à conquérir. Tant que le gap entre la cause et l'effet subsiste, le désir existe aussi - il n'y a que la science pour imaginer que le gap puisse être comblé.


"Dans toute avancée, dans tout avènement de ce petit(a) comme tel, l’angoisse apparaît justement en fonction de son rapport au désir de l’Autre. Mais son rapport au désir du sujet, quel est-il ? Il est situable sous la formule que j’ai avancée en son temps : petit(a) n’est pas « l’objet » du désir, celui que nous cherchons à révéler dans l’analyse, il en est « la cause ». Ce trait est essentiel, car si l’angoisse marque la dépendance de toute constitution du sujet, sa dépendance de l’Autre, avec un grand A le désir du sujet se trouve donc appendu à cette relation par l’intermédiaire de la constitution première, antécédente du petit(a)... Cette fonction est repérable dans les données premières de notre champ, celui sur lequel s’engage la recherche, c’est à savoir le champ du symptôme...
Petit(a), nous l’avons défini comme le reste de la constitution du sujet au lieu de l’Autre, en tant qu’il a à se constituer en sujet barré. Si le symptôme est ce que nous disons, c’est-à-dire tout entier implicable dans ce processus de la constitution du sujet en tant qu’il a à se faire au lieu de l’Autre, l’implication de la cause dans l’avènement symptomatique, tel que je vous l’ai défini tout à l’heure, fait partie légitime de cet avènement. Ceci veut dire que la cause, impliquée dans la question du symptôme, est littéralement, si vous le voulez, une question, mais dont le symptôme n’est pas l’effet, il en est le résultat. L’effet, c’est le désir."
LACAN, S.X, 12/05/1963

Voix, Autre, Angoisse, Désir, 1963

La voix résonne depuis le vide de l'Autre (ex-nihilo) et ne peut être reçue, pour cette raison, qu'à être incorporée. Il s'agit d'une identification à part entière et spécifique, la première évoquée par Freud. La voix comme telle, c'est-à-dire articulée et non modulée, est signifiante, disons même impérative "en tant qu’elle réclame obéissance ou conviction". A signifier ainsi le désir de l'Autre, elle ne peut que susciter l'angoisse ; dont la résolution est la culpabilité ou le pardon, une fois reçu le commandement et surtout reconnue la "faute", la faute c'est-à-dire le manque inhérent à tout désir.


"Si la voix, au sens où nous l’entendons, a une importance, ce n’est pas de résonner dans aucun vide spatial, c’est pour autant que la forme, la plus simple émission dans ce qu’on appelle linguistiquement sa fonction phatique - qu’on croit être de la simple  prise de contact et qui est bien autre chose  - résonne dans un vide qui est le vide de l’Autre comme tel, l’ex-nihilo à proprement parler... La voix répond à ce qui se dit, mais elle ne peut pas en répondre. Autrement dit, pour qu’elle réponde, nous devons incorporer la voix comme l’altérité de ce qui se dit. C’est bien pour cela, et non pour autre chose, que détachée de nous, notre voix nous apparaît avec un son étranger. Il est de la structure de l’Autre de constituer un certain vide : le vide de son manque de garantie. La vérité entre dans le monde avec le signifiant et avant tout contrôle, elle s’éprouve, elle se renvoie seulement par ses échos dans le réel. Or, c’est dans ce vide que la voix - en tant que distincte des sonorités, voix non pas modulée, mais articulée - résonne."
LACAN, S.X, 05/05/1963

Phallus, Sexualité, Angoisse, Jouissance, 1963

Entre l'homme et la femme, en tant qu'êtres sexués, il ne saurait y avoir de rencontre, sauf par l'intermédiaire de ce qui leur manque à tous les deux, à savoir le phallus. Or celui-ci ne se trouve jamais là où d'abord on l'attend, justement dans la relation génitale, où ce qui en tient lieu ne peut que s'avérer défaillant. "Voilà, dit Lacan, ce qui explique que l’angoisse est la vérité de la sexualité, c’est-à-dire ce qui apparaît chaque fois que son flux se retire, montre le sable. La castration est le prix de cette structure, elle se substitue à cette vérité." L'angoisse rend palpable, chez le sujet, l'impossible synthèse, disons même l'alternative du désir et de la jouissance. Du fait même de son manque, localement de son impuissance, le phallus se montre omniprésent et d'autant plus sous le signe de la puissance - voire de la toute-puissance - partout où il n'est pas en situation explicitement sexuelle, accréditant une "confusion de la jouissance avec les instruments de la puissance" remarque Lacan. Donc, ce support du désir qu'est le phallus n'est pas fait pour réaliser l'union sexuelle : chacun reste séparé de l'autre, du fait même que, par la médiation phallique, il lui est strictement substituable. L'homme, pour rencontrer l'autre, en l'occurrence la femme, doit renoncer au phallus ; ou bien, dans son désir de toute puissance, il peut assimiler sa partenaire au phallus, mais alors il doit renoncer à la femme. Quant à la femme, précise Lacan, "elle ne peut prendre le phallus que pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire : soit petit(a), l’objet, soit son trop petit ϕ à elle, qui ne lui donne qu’une jouissance approchée de ce qu’elle imagine de la jouissance de l’Autre."


"Que le phallus ne se trouve pas là où on l’attend, là où on l’exige, à savoir sur le plan de la médiation génitale, voilà ce qui explique que l’angoisse est la vérité de la sexualité, c’est-à-dire ce qui apparaît chaque fois que son flux se retire, montre le sable. La castration est le prix de cette structure, elle se substitue à cette vérité...
Le phallus, là où il est attendu comme sexuel, n’apparaît jamais que comme manque, et c’est cela son lien avec l’angoisse. Et tout ceci veut dire que le phallus est appelé à fonctionner comme instrument de la puissance. Or la puissance, je veux dire ce dont il s’agit quand nous parlons de puissance, quand nous en parlons d’une façon qui vacille, de ce dont il s’agit car c’est toujours à la « toute-puissance » que nous nous référons, or ce n’est pas de cela qu’il s’agit : la toute-puissance est déjà le glissement, l’évasion, par rapport à ce point où toute puissance défaille. On ne demande pas à la puissance d’être partout, on lui demande d’être là où elle est présente. C’est justement parce que là où elle est attendue elle défaille, que nous commençons à fomenter la « toute-puissance ». Autrement dit le phallus est présent, il est présent partout où il n’est pas en situation. Car c’est la face qui nous permet de percer cette illusion de la revendication engendrée par la castration, en tant qu’elle couvre l’angoisse présentifiée par toute actualisation de la jouissance : c’est cette confusion de la jouissance avec les instruments de la puissance. L’impuissance humaine, avec le progrès des institutions, devient mieux que cet état de sa misère fondamentale, elle se constitue en profession, j’entends « profession » dans  tous les sens du mot, depuis le sens « profession de foi » jusqu’au terme, à la visée, que nous trouvons dans « l’idéal professionnel ». Tout ce qui s’abrite derrière la dignité de toute « profession », c’est toujours ce manque central qui est impuissance. L’impuissance, si l’on peut dire, dans sa formule la plus générale, c’est celle qui voue l’homme à ne pouvoir jouir que de son rapport au support de +ϕ, c’est-à-dire d’une  puissance trompeuse...
Le support du désir n’est pas fait pour l’union sexuelle, car généralisé il ne me spécifie plus comme homme ou femme, mais comme l’un et l’autre. La fonction de ce champ ici décrit comme celui de l’union sexuelle pose, pour chacun des deux sexes, l’alternative : l’autre est ou l’Autre ou le phallus, au sens de l’exclusion. Ce champ-là est vide [- ϕ]. Mais ce champ-là [- ϕ] si je le positive, le « ou » prend cet autre sens qui veut dire que l’un à l’autre est substituable à tout instant."
LACAN, S.X, 05/05/1963

Phallus, Angoisse, Orgasme, Femme, 1963

Le phallus, qui fonctionne au plan imaginaire à tous les niveaux, manque précisément là où il devrait jouer son rôle de médiateur : au stade phallique. C’est cette absence, cet évanouissement au cœur même de la fonction sexuelle, noté - ϕ, qui fonde l’angoisse de castration. Celle-ci se révèle notamment dans la scène primitive, où la présence phallique se donne sur un mode ambigu : visible et pourtant escamotée, elle frappe surtout par ses formes de disparition. Lacan reprend l’exemple de « l’Homme aux loups » : dans la vision traumatique de l’arbre couvert de loups, l’enfant est fasciné et paralysé, captif d’une image catatonique où ce qui le regarde est partout et nulle part. "Une jouissance dépassant tout repérage possible par le sujet est là présentifiée sous cette forme érigée. Le sujet n’est plus qu’érection dans cette prise qui le fait phallus, « l’arb-horrifie », le fige tout entier" dit Lacan. - Au plan génital, Lacan insiste sur le lien entre la copulation humaine, la bisexualité et l’émergence de la mort individuelle. L’acte sexuel noue à la fois survie de l’espèce et pulsion de mort, ce que traduit l’expression courante de « petite mort ». Ce que l’on demande à l’autre dans l’amour est ainsi toujours lié à la mort. L’orgasme satisfait cette demande en offrant un apaisement, mais lorsque la jouissance se détache du rapport à l’Autre — comme dans le coït interrompu, si l'on en croit Freud — surgit l’angoisse. - Le sexe, incapable de soutenir longtemps la jouissance, cède prématurément et disparaît de la scène au moment où il pourrait devenir l’objet sacrificiel. De là se noue le drame du complexe de castration : la mise en question du désir et de l’illusion d’un « accomplissement génital ». Le phallus ne peut jamais réaliser la rencontre des désirs, sauf dans son évanescence, et c’est pourquoi il devient le noyau ou le "lieu commun" de l’angoisse. - Chez la femme, cet échec du désir masculin ouvre à l’idée d’avoir l’organe de l’homme, ce phallus manquant. Cette demande adressée à l’analyste, comme Freud l’avait vu, peut se formuler comme une demande de pénis, mais pour « faire mieux que l’homme ». En dehors de l’analyse, une solution ordinaire réside dans la mascarade féminine (selon Joan Rivière), où les attributs féminins sont offerts comme signes de la toute-puissance phallique pour soutenir le désir masculin, "simplement, elle doit y faire bon marché de sa jouissance".


"Après tout pourquoi nous refuser à voir ce qui est après tout immédiatement sensible dans des faits que nous connaissons tout à fait bien, qui sont signifiés dans les usages les plus courants de la langue: nous demandons - je n'ai pas encore dit à qui, mais enfin comme il faut bien toujours demander quelque chose à quelqu'un, il se trouve que c'est à notre partenaire, est-il bien sûr que ce soit à lui, c'est à voir dans un second temps, mais que ce que nous demandons, c'est quoi ? C'est à satisfaire une demande qui a un certain rapport avec la mort. Ça ne va pas très loin, ce que nous demandons, c'est « la petite mort », mais enfin il est clair que nous la demandons, que la pulsion est intimement mêlée à cette fonction de la demande : que nous demandons à « faire l'amour » si vous voulez à « faire l'amourir», c'est à mourir, c'est même à mourir de rire ! Ça n'est pas pour rien que je souligne ce qui de l'amour participe à ce que j'appelle un sentiment comique. En tout cas, c'est bien là que doit résider ce qu'il y a de reposant dans l'après-orgasme, si ce qui est satisfait c'est cette demande, eh bien mon Dieu, c'est satisfait à bon compte. On s'en tire! L'avantage de cette conception est de faire apparaître, de rendre raison de ce qu'il en est de l'apparition de l'angoisse, dans un certain nombre de façons d'obtenir l'orgasme. Dans toute la mesure où l'orgasme se détache de ce champ de la demande à l'autre - c'est la première appréhension que Freud en a eue dans le coïtus interruptus - l’angoisse apparaît, si je puis dire, dans cette marge de perte de signification, mais comme telle, elle continue à désigner ce qui est visé d’un certain rapport à l’Autre."
LACAN, S.X, 29/05/1963

Objet a, Vision, Fantasme, Espace, 1963

Dans sa fonction de support du désir dans le fantasme, l'objet (a) n'est jamais aussi prégnant que dans le champ visuel - domaine du fantasme par excellence - et justement en tant qu'absent ou élidé. Car l'espace est structuré par la nature insécable et surtout "inaliénable" - quoique parfaitement imaginaire - du point en tant que condition de possibilité de la ligne, puis de la surface. C'est pourquoi l'objet (a) ne peut en aucun cas s'y retrouver, étant par définition ce qui manque à l'image : "petit(a) - ce qui manque - est non spéculaire : il n’est pas saisissable dans l’image".


"L’origine, la base, la structure, de la fonction du désir comme tel est - dans un style, dans une forme, à chaque fois à préciser - cet objet central (a), en tant qu’il est non seulement séparé mais éludé, toujours ailleurs que là où le désir le supporte, et pourtant en relation profonde avec lui, ce caractère d’élusion n’est nulle part plus manifeste qu’au niveau de la fonction de l’œil. Et c’est en quoi  le support le plus satisfaisant de la fonction du désir : le fantasme, est toujours marqué d’une parenté avec les modèles visuels où il fonctionne communément - si l’on peut dire - où il donne le ton de notre vie désirante."
LACAN, S.X, 22/05/1963

Angoisse, Orgasme, Oralité, Coupure, 1963

Le mécanisme post-copulatoire de la détumescence, avec la disparition de la fonction qui s'en-suit, peut être rapproché de la fonction fondamentale de la coupure au niveau de la pulsion orale. Or si dans la pulsion orale le point d'angoisse se rapporte, au-delà de la fonction du nourrissage, au risque de tarissement du sein et donc à sa disparition, l'orgasme lui-même - en tant que summum de la satisfaction - devient ici l'analogue du point d'angoisse, voire une authentique expérience d'angoisse - avec cette particularité que "l’orgasme - de toutes les angoisses - est la seule qui réellement s’achève" dit Lacan.


"Et c'est ce qui nous permet de justifier ce que la clinique nous montre d'une façon très fréquente, à savoir la sorte d'équivalence fondamentale qu'il y a entre l'orgasme et au moins certaines formes de l'angoisse, la possibilité de la production d'un orgasme au sommet d'une situation angoissante, l'érotisation, nous dit-on de toute part, l'érotisation éventuelle d'une situation angoissante, recherchée comme telle... Si la fonction de l'orgasme peut atteindre cette éminence : - est-ce que ce n'est pas parce que, dans le fond de l'orgasme réalisé il y a quelque chose de ce que j'ai appelé la certitude liée à l'angoisse...  – est-ce que ce n’est pas dans la mesure où l’orgasme c’est la réalisation même de ce que l’angoisse indique comme repérage, comme direction du lieu de la certitude, l’orgasme - de toutes les angoisses - est la seule qui réellement s’achève ?"
LACAN, S.X, 08/05/1963

Angoisse, Oralité, Coupure, Objet a, 1963

A souligner la fonction de la coupure dans la pulsion orale, on comprends que celle-ci fonctionne comme un mode métaphorique de ce qui se passe au niveau de l’objet phallique, de nature même à éclairer l'énigme (jamais résolue par Freud) du complexe de castration. Déjà la lèvre en elle-même, avec sa structure de bord, suffirait presque à incarner la coupure. Puis arrive, avec la pulsion orale, toute une thématique agressive (la menace de morsure au niveau de ce qu'Homère appelait "l'enclos des dents"), voire une fantasmatique sadique présentant le bout du sein comme objet non seulement isolé mais encore sectionné. Mais ce n'est pas à ce niveau fantasmatique d'appréhension de l'objet que nous avons affaire avec l'angoisse, avec ce que Lacan appelle le "point d'angoisse". Car en vérité la coupure primordiale n'est pas conditionnée à l'agression du corps maternel, il faut imaginer la coupure première au niveau de l'oeuf, entre le foetus et les enveloppes dont il se débarrasse à la naissance. Avant d'être coupé de l'Autre, l'on est coupé (de) soi-même, "au sein" d'un corps plus vaste qui nous constitue. Et donc ce qui donne sa fonction d'objet (a) à la mamme n'est pas directement le sein de la mère, mais une zone de contact - devenant zone de séparation - plus globale. D'où ce que dit Lacan : "c'est parce que le (a) est quelque chose dont l'enfant est séparé d'une façon en quelque sorte interne à la sphère de son existence propre, qu'il est bel et bien le (a)" - c'est aussi pour cela qu'il est réellement perdu. Ce qui apparait au niveau de l'angoisse, à la place du manque, faisant manquer le manque, ce n'est évidemment pas quelque chose qui se substitue au sein mais bien qui se substitue au corps de la mère, à l'Autre comme tel. "Voilà ce qui nous permet de distinguer le point d'angoisse du point de désir, précise Lacan. Ce qui nous montre qu'au niveau de la pulsion orale, le point d'angoisse est au niveau de l'Autre, et que c'est là que nous l'éprouvons." Lacan d'évoquer ensuite l'image de l'enfant "vampirique" tentant de piller la mère, puis plus directement le mythe du vampire en immortel suceur (et, ajouterons-nous, au moins depuis Dracula, éternel séducteur), figure angoissante s'il en est, car le pillage féroce auquel il se livre ne laisse-t-il pas entrevoir la possibilité d'un tarissement du sein ? Angoisse, car alors le manque ne manque plus, mais c'est à nous confronter à la totalité du corps maternel (ce que figure pour Dracula - version Casanova - la totalité des jolies femmes de ce monde. Le vampire est une langue suceuse sans doute affreuse mais romanesque, bien faite pour représenter ici le phallus.


"Freud nous dit « l'anatomie, c'est le destin. » Vous le savez, je me suis... j'ai pu, à certains moments, m'élever contre cette formule pour ce qu'elle peut avoir d'incomplet. Elle devient vraie - vous le voyez - si nous donnons au terme « anatomie» son sens strict et si je puis dire étymologique, celui qui met en valeur « ana-tomie », la fonction de la coupure, ce par quoi tout ce que nous connaissons de l'anatomie est lié à la dissection. C'est pour autant qu'est concevable ce morcellement, cette coupure du corps propre, et qui là est lieu des moments élus de fonctionnement ; c'est pour autant que le destin, c'est-à-dire le rapport de l'homme à cette fonction qui s'appelle le désir, prend toute son animation. La « sépartition » fondamentale - non pas séparation mais partition à l'intérieur - voilà ce qui se trouve, dès l'origine et dès le niveau de la pulsion orale, inscrit dans ce qui sera structuration du désir. Nul étonnement dès lors à ce que nous ayons été à ce niveau pour trouver quelque image plus accessible à ce qui est resté pour nous - pourquoi ? - toujours jusqu'à présent paradoxe, à savoir : que dans le fonctionnement phallique, dans celui qui est lié à la copulation, c'est aussi l'image d'une coupure, d'une séparation, de ce que nous appelons improprement « castration », puisque c’est  une image d’éviration qui fonctionne."
LACAN, S.X, 08/05/1963

Cause, Objet a, Connaissance, Angoisse, 1963

La cause surgit toujours en corrélation avec l’omission, dans la connaissance, du désir qui la fonde. Classiquement la connaissance se donne des justifications essentialistes, que l'on retrouve jusque dans la certitude cartésienne. Or il n'y a pas de désir de connaître porté par un sujet transcendantal, qui le satisferait plus ou moins ; il y a seulement, par la nécessité structurale du sujet pris dans le signifiant, une fonction de connaissance déjà impliquée dans le fantasme où l'objet prend sa fonction de support pour le désir, et plus précisément de cause. La justification essentialiste ne convainc pas, sinon pourquoi le philosophe éprouverait-il le besoin d'y revenir sans cesse ? Cette certitude n'est que l'ombre d'une autre bien plus probante, et plus éprouvante, qui est celle de l'angoisse survenant à l'approche de l'objet, à définir comme "ce qui ne trompe pas". Cet objet qui est structurant dans le fantasme fondamental du sujet, comme cause de son désir et, à un autre niveau, source de son angoisse, la connaissance ne peut pas l'ignorer complètement ; c'est pourquoi « il у а déjà connaissance dans le fantasme » dit Lacan. Ce qui signifie également que le corps est impliqué dans la connaissance - au point de justifier une sérieuse "mise en cause", proprement, de cette fonction ! -, non pas comme ce corps global participant de la visée intentionnelle du sujet comme tente de le décrire la phénoménologie, mais plus radicalement parce que nul sujet ne parle (et la connaissance suppose la parole) sans qu'une "livre de chair" (comme il est écrit dans Le Marchand de Venise) ne soit prélevée, sacrifiée, amputant justement à jamais le corps global.


"Ce dont il s’agit n’est pas d’un sentiment qui requiert sa satisfaction, ce dont il s’agit est d’une nécessité  structurale : le rapport du sujet au signifiant nécessite la structuration du désir dans le fantasme, le fonctionnement du fantasme implique une syncope temporellement définissable de la fonction du (а), qui forcément, à telle phase du fonctionnement fantasmatique, s’efface et  disparaît. Cette aphanisis du (а), cette disparition de l’objet en tant qu’il structure un certain niveau du fantasme, c’est cela dont nous avons le reflet dans la fonction de la cause... Un objet caché est au ressort de cette foi, faite au premier moteur d’Aristote dont je vous le dépeignais tout à l’heure sourd et aveugle à ce qui le cause...
Qu’est-ce que ceci implique ? Assurément, une mise en cause plus radicale qu’elle n’a jamais été, dans notre philosophie occidentale, articulée : la mise en cause comme telle de la fonction de la connaissance... Chez nous, elle ne peut commencer à être faite de la façon la plus radicale que si nous nous apercevons de ce que veut dire cette formule : « qu’il у а déjà connaissance dans le fantasme ». Et quelle est la nature de cette connaissance qu’il у а déjà dans le fantasme ? Ce n’est rien d’autre que ceci que je répète à l’instant : l’homme qui parle, le sujet dès qu’il parle, est déjà dans son corps, par cette parole, impliqué. La racine de la connaissance, c’est cet engagement de son corps."
LACAN, S.X, 08/05/1963

Cause, Objet a, Corps, Phallus, 1963, KANT

La notion d’« objectalité » est antérieure et sous-jacente à celle d'« objectivité ». Elle n'est pas le corrélat d'une subjectivité transcendantale, mais plutôt le corrélat d’un "pathos de coupure", précise Lacan, en ce point où le formalisme logique, au sens kantien, rejoint un effet méconnu déjà présent dans la Critique de la raison pure, à savoir que le formalisme reste pétri de causalité, suspendu à une justification qu’aucun a priori ne peut réduire. La fonction de la cause demeure partout irréductible et insaisissable dans le champ de la critique. Une partie perdue de nous-même, coincée dans la machine formelle, constitue le support authentique de toute fonction de la cause. Cet objet perdu, cause du désir, voire par métaphore cet objet de désir que nous "sommes" pour l'autre, reste un morceau charnel quand bien même les mots prétendent viser quelque chose de plus spirituel. (Notons que si toutes les parties du corps trouvent place dans ces usages métaphoriques, l’organe sexuel masculin en est curieusement absent : ce qui connote directement le phallus y est marqué du signe -.)


"Le morceau charnel comme tel, à nous-mêmes arraché, c’est ce morceau en tant que c’est lui qui circule dans le formalisme logique tel qu’il se dégage par notre travail de l’usage du signifiant, c’est cette part de nous-même prise dans la machine, à jamais irrécupérable, cet objet comme perdu aux différents niveaux de l’expérience corporelle où se produit sa coupure, c’est lui qui est le support, le substrat authentique de toute fonction comme telle de la cause... Cette part de nous-mêmes, cette part corporelle est donc essentiellement et par fonction, partielle. Bien sûr, il convient de rappeler qu’elle est corps : que nous ne sommes objectaux - ce qui veut dire objet du désir - que comme corps. Point essentiel à rappeler, puisque c’est l’un des champs créateurs de la dénégation que de faire appel à quelque chose d’autre, à quelque substitut. C’est ce qui pourtant reste toujours et au dernier terme, désir du corps, désir du corps de l’autre, et rien que désir de son corps."
LACAN, S.X, 08/05/1963