Sexualité, Pulsion, Manque, Libido, 1964

Lacan prend acte de la thèse freudienne : la sexualité biologique (reproduction) n’a aucune représentation directe dans le psychisme. L’être sexué ne s'y définit pas comme mâle ou femelle, mais seulement par les couples activité/passivité, insuffisants pour rendre compte de la différence sexuelle. Le sujet doit donc apprendre ce qu’est « être un homme » ou « être une femme », et cet apprentissage vient du champ de l’Autre, c’est-à-dire du langage, de la culture et en particulier du scénario oedipien. Par ailleurs, dans le psychisme, la sexualité ne se représente que par la pulsion partielle, qui ne vise pas la reproduction mais des objets partiels. Cette structuration est fondée sur un double manque : un manque symbolique, lié à l’entrée dans le langage ; un manque réel, lié au fait que le vivant sexué perd quelque chose et devient mortel. Contre le mythe d’Aristophane, qui explique l’amour par la recherche d’un complément sexuel, l’analyse montre que le sujet cherche plutôt la part perdue de lui-même, celle qu’il a sacrifiée en devenant un être sexué mortel. C'est bien pourquoi la pulsion, au départ, porte cette dimension de mort - c’est ce que Freud nomme pulsion de mort. Lacan propose un mythe nouveau pour figurer cette « part manquante » : la lamelle. Ce mythe sert à penser la libido comme un organe (et non comme une énergie), certes irréel (et non imaginaire), mais articulé au réel. Cet organe peut même trouver des formes d’incarnation concrète, par exemple dans les tatouages ou scarifications primitives, qui marquent la place du sujet dans le groupe tout en ayant une dimension érotique prononcée.


"Deux manques, ici se recouvrent. L'un qui ressortit au défaut, au défaut central autour de quoi tourne la dialectique de l'avènement du sujet à son propre être dans la relation à l'Autre, par le fait que le sujet dépend du signifiant, en tant que le signifiant est d'abord au champ de l'Autre. Et ce manque vient à recouvrir, vient à reprendre un autre manque qui est le manque réel, antérieur à ce que nous le situions à l'avènement du vivant, à la reproduction sexuée. Ce manque c'est ce que le vivant perd de sa part de vivant à être ce vivant qui se reproduit par la voie sexuée, c'est ce manque qui se rapporte à quelque chose de réel qui est ceci : que le vivant, d'être sujet au sexe, est tombé sous le coup de la mort individuelle. Cette poursuite du complément que nous image de façon aussi pathétique et de façon aussi leurrante le mythe d'ARISTOPHANE : que c'est l'autre, que c'est sa moitié sexuelle que le vivant cherche dans l'amour.
A cette façon de représenter mythiquement « le mystère de l'amour », l'analyse, l'expérience analytique substitue la recherche, non du complément, du complément sexuel, mais la recherche de cette part à jamais perdue de lui-même dans le vivant, qui est constituée du fait : qu'il n'est qu'un vivant sexué, et qu'il n'est plus immortel. C'est ceci à quoi s'attache, et qu'il nous fait saisir, que la pulsion - la seule : la pulsion partielle - a cette face foncière, au principe même de ce qu'il la fait servir à induire le vivant par un leurre, dans sa réalisation sexuelle, c'est au départ qu'elle est pulsion, pulsion que FREUD a appelé « pulsion de mort » - qu'elle représente en elle - même la part de la mort dans le vivant sexué.
C'est pour cela que défiant, peut-être pour la première fois dans l'histoire, ce mythe pourvu d'un si grand prestige - que j'ai évoqué sous le chef où PLATON le met - d'ARISTOPHANE, j'y ai substitué la dernière fois, ce mythe fait pour incarner cette part manquante, ce mythe que j'ai appelé celui de la lamelle, qui a cette importance nouvelle, dont nous verrons à l'usage ce qu'il nous apportera d'appui, de désigner la libido comme à concevoir, non pas sous la forme d'un champ de forces mais sous la forme d'un organe. La libido est l'organe essentiel à comprendre de la nature de la pulsion."
LACAN, S.XI, 27/05/1964

Analyse, Sexualité, Refoulement, Interprétation, 1964

Lacan situe trois pôles de l’expérience analytique. D’un côté, le refoulé : il n’est pas un contenu caché mais une structure de signifiants ; le symptôme, comme lui, se lit dans un réseau symbolique. À l’autre extrémité, l’interprétation : elle ne vise pas à reconstruire le passé mais à faire surgir le désir, qui se déplace métonymiquement d’un signifiant à l’autre. Entre les deux, l’intervalle des pulsions : la sexualité, sous forme de pulsions partielles, anime tout le champ analytique. Par incidence, on comprend mieux la formule de Lacan selon laquelle "le transfert c'est la mise en acte de la réalité de l'inconscient" : derrière l'amour de transfert, c'est bien de la sexualité (réalité de l'inconscient) qu'il s'agit.


"Si nous plaçons aux deux extrêmes de ce qui est notre expérience analytique : 1) Le refoulé, le refoulé primordial, ce refoulé est un signifiant : ce qui s’édifie par dessous pour constituer le symptôme, nous pouvons l’inscrire, le considérer comme échafaudage, toujours de signifiants. Refoulé et symptôme sont homogènes et réductibles à des fonctions de signifiants. Leur structure, quoi qu’elle s’édifie par succession, comme tout édifice, est quand même, au terme, au produit fini, inscriptible en termes synchroniques. 2) L’autre extrémité est celle de notre interprétation. Cette interprétation concerne ce facteur d’une structure temporelle spéciale, que j’ai essayé de définir par la métonymie. L’interprétation, dans son terme, pointe, non pas essentiellement les étapes de la construction, mais le désir auquel - dans un certain sens, dans le sens du vecteur que j’essaie ici de vous faire sentir - elle est identique. Le désir c’est en somme l’interprétation elle-même. 3) Dans l’intervalle, si la sexualité - sous la forme des pulsions partielles - ne s’était pas manifestée comme dominant toute l’économie de cet intervalle, comme y mettant la présence sexuelle, toute notre expérience se réduirait à une mantique, à laquelle le terme neutre d’énergie psychique pourrait alors convenir, mais où il manquerait, à proprement parler, ce qui y constitue  la présence, le Dasein de la sexualité."
LACAN, S.XI, 13/05/1964

Voyeurisme, Pulsion, Regard, Objet, 1964

Dans le voyeurisme, le sujet n’est pas celui qui voit, mais celui qui tourne autour du regard comme objet manquant. En effet le regard, chez Lacan, n’est pas au niveau de l’œil, mais au niveau de l’Autre. L’Autre intervient en révélant le sujet comme regard lui-même, dans la honte d’être surpris.. Cet instant révèle que le regard est l’objet perdu : « Ce qu’on regarde, c’est ce qui ne peut pas se voir. » L’exhibitionniste, inversement, vise à faire apparaître ce regard chez l’autre : la pulsion se boucle. Cette réversion éclaire le sadomasochisme : la pulsion se retourne, le sujet devient son propre objet. Autrement dit la douleur n’est pas première : elle naît quand la boucle est close et que l’autre intervient. Ainsi, la pulsion, en s’accomplissant, transgresse le principe du plaisir et touche à la jouissance.


"Ce qui se passe dans le voyeurisme ? Au moment du voyeurisme, au moment de l’acte du voyeur : où est le sujet, où est l’objet ? Je vous l’ai dit, le sujet n’est pas là en tant qu’il s’agit de voir, de  la pulsion de voir, mais en tant que le sujet est pervers. En tant qu’il est pervers il ne se situe qu’à l’aboutissement de la boucle, à savoir : quant à ce qu’il en est de l’objet... L’objet est ici regard, et regard qui est le sujet, qui l’atteint, qui fait mouche dans le tir à la cible... C'est que l'autre le surprend, lui, sujet, comme tout entier regard caché. Et vous saisissez là l'ambiguité de ce dont il s'agit quand nous parlons de la pulsion scopique: le regard est cet objet perdu et soudain retrouvé, dans la conflagration de la honte, par l'introduction de l'autre. Jusque-là, qu'est-ce que le sujet cherche à voir ? Ce qu'il cherche à voir - sachez-le bien - c'est l'objet en tant qu'absence. Ce que le voyeur cherche et trouve, ce n'est qu'une ombre, une ombre derrière le rideau. Il y fantasmera n'importe quelle magie de présence, la plus gracieuse des jeunes filles, même si de l'autre côté il n'y a qu'un athlète poilu. Ce qu'il cherche, ce n'est pas - comme on le dit - le phallus, mais justement son absence, d'où la prééminence, précisément, de certaines formes, comme objet de sa recherche. Ce qu'on regarde, c'est ce qui ne peut pas se voir."
LACAN, S.XI, 13/05/1964

Pulsion, Sexualité, Manque, Objet a, 1964

Lacan reprend le principe économique de Freud : les pulsions sont liées à des tensions internes que le psychisme cherche à réguler. Ce que Freud appelle le Real-Ich (le « moi réel ») correspond au système nerveux, non pas dans sa fonction de relation au monde, mais comme système homéostatique, cherchant à maintenir un équilibre interne des excitations. C’est à partir de cette base biologique (le système homéostatique) que la sexualité s’introduit dans la vie psychique sous une forme détournée, morcelée, à savoir : les pulsions partielles. Ces pulsions sont partielles au regard de la finalité biologique (la reproduction). Elles se constituent à partir des zones érogènes et participent à la vie psychique selon une structure de manque (« béance » de l’inconscient). En effet que vise la pulsion, quelle satisfaction ? Freud montrait déjà que la pulsion a un parcours : elle part d’une source (zone érogène), vise un objet, et revient à la source dans une satisfaction de retour. En réalité il faut distinguer trois temps : d'abord la poussée (Drang) – la force propre de la pulsion, puis le retour – la boucle qui ramène la pulsion vers sa source, et enfin l’apparition d’un nouveau sujet : ce n’est qu’à la fermeture de la boucle, dans le rapport à l’autre, qu’un sujet apparaît. Lacan joue ici sur la distinction anglaise entre : Aim, le trajet, le parcours même de la pulsion, et Goal, le but final, la visée d’un résultat. Le but de la pulsion n’est pas le « goal » (la satisfaction biologique, la reproduction), mais le retour même — la boucle qui se referme. Ainsi, la pulsion trouve sa satisfaction dans son parcours, pas dans un objet final. Il y a bien un objet : c'est le manque. La pulsion tourne autour d’un vide, d’un objet manquant, que Lacan appelle l’objet petit a. Cet objet n’est pas l’origine de la pulsion, mais ce autour de quoi elle tourne. Il représente le manque structural, ce qui ne peut jamais être pleinement satisfait. Exemple : dans la pulsion orale, aucune nourriture ne comble vraiment le manque, car l’objet de la pulsion orale n’est pas la nourriture, mais le vide qu’elle contourne.


"Cette sexualité, pour s’être imposée si tôt, je dirai presque trop tôt, nous a fait passer trop vite sur l’examen de ce qu’elle représente en son essence. C’est à savoir : – qu’au regard de l’instance de  la sexualité tous les sujets sont à égalité, depuis l’enfant jusqu’à l’adulte, – qu’ils n’ont affaire qu’à ce qui, de la sexualité, passe dans les réseaux de la constitution subjective, dans les réseaux du signifiant, – que la sexualité ne se réalise que par l’opération des pulsions en tant qu’elles sont  pulsions partielles, partielles au regard de la finalité biologique de la sexualité."
LACAN, S.XI, 13/05/1964

Pulsion, Plaisir, Objet, Corps, 1964, FREUD

Lacan reprend et clarifie les quatre déterminations freudiennes de la pulsion (Trieb) : poussée (Drang), but (Ziel), objet (Objekt) et source (Quelle). 1) La poussée n’est pas la pression d’un besoin biologique (comme la faim ou la soif). Elle relève d’un champ énergétique psychique, non organique, lié au Real-Ich de l’Esquisse de Freud. C’est une force constante (konstante Kraft), sans rythme, sans alternance naturelle : « elle n’a pas de jour ni de nuit ». Elle ne vise donc pas une décharge biologique mais témoigne d’un excès d’énergie psychique indifférente au corps vivant comme tel. Lacan y voit déjà une première rupture entre pulsion et instinct vital : la pulsion se déploie dans un autre registre, celui du symbolique et du réel, non du biologique. 2) Le but (Ziel). On pourrait croire que le but de la pulsion est simplement sa satisfaction, comme pour un besoin : atteindre l’objet et se décharger. Mais Freud montre que la satisfaction peut exister même quand le but est inhibé (zielgehemmt), comme dans la sublimation. Et Lacan note que le névrosé, lui, "se donne beaucoup de mal" pour se satisfaire, au niveau de son symptôme ! Parler, créer, fantasmer peuvent donner la même satisfaction qu’un acte sexuel. Lacan souligne que cette satisfaction paradoxale relève d’un rapport au plaisir, mais dans la proximité de l’impossible : le sujet y rencontre les "murailles de l’impossible", c’est-à-dire le réel. Le réel, défini ici comme ce qui ne peut pas s’arranger, est ce qui fait obstacle au principe de plaisir. Le but de la pulsion n’est donc pas simplement d’atteindre quelque chose, mais de tourner autour de cet impossible, d’en tirer satisfaction autrement. 3) L’objet (Objekt). L’objet de la pulsion, dit Freud, est indifférent : « qu’on sache bien qu’il n’a à proprement parler aucune importance ». Ce n’est pas l’objet réel (la nourriture, le sein concret, etc.) qui satisfait la pulsion, mais le plaisir attaché à la zone érogène. Exemple : la pulsion orale ne vise pas la nourriture mais le plaisir de la bouche. D’où la notion lacanienne d’objet 'a' : l’objet cause du désir, non pas ce qui satisfait un besoin, mais ce autour de quoi tourne la pulsion. Lacan dit alors : « la pulsion en fait le tour » — elle cerne l’objet, le contourne, sans jamais le posséder vraiment. Cet objet a est ce qui manque, ce qui cause le mouvement de la pulsion plutôt que de le résoudre. 4) La source (Quelle). On serait tenté de la situer dans une fonction organique (le corps vivant). Mais Lacan insiste : ce n’est pas le corps entier qui est en jeu, mais des zones érogènes, définies par leur structure de bord. Autrement dit, la source de la pulsion se définit par un point de discontinuité sur le corps (la lèvre, les dents, l’anus, etc., non les organes internes), où se manifeste la possibilité même du plaisir pulsionnel. - Au final, Lacan dit de la pulsion qu'elle est un montage, un montage improbable défiant la réalité du corps, comme un collage surréaliste.


"Le réel, c’est le heurt, le fait que ça ne s’arrange pas tout de suite, comme le veut la main qui se tend vers les objets extérieurs... Le réel s’y distingue, comme je l’ai dit la dernière fois, par sa séparation du champ du principe du plaisir, par sa désexualisation, par le fait que son économie, de ce fait, admet quelque chose de nouveau justement. Ce quelque chose de nouveau c’est l’impossible. Le  principe du plaisir se caractérise par ceci que l’impossible y est si présent qu’il n’y est jamais reconnu comme tel. L’idée de la fonction du  principe du plaisir de se satisfaire par l’hallucination est là pour l’illustrer...
Mais ce n’est qu’une illustration de ceci : que supposée dans ce champ, ce champ de la pulsion, la pulsion saisissant son objet apprend en quelque sorte, eh bien que ce n’est justement pas par là qu’elle est satisfaite !... Aucun objet d’aucun Not - besoin - ne peut satisfaire la pulsion. Parce que, quand bien même vous gaveriez la bouche, cette bouche qui s’ouvre dans le registre de  la  pulsion, de  la pulsion orale, ce n’est pas de la nourriture qu’elle se satisfait, c’est comme on dit : du  plaisir de la bouche. Et c’est bien pour cela qu’elle se reconnaîtra, qu’elle se rencontrera, au dernier terme et dans l’expérience analytique, comme pulsion orale, justement dans une situation où  elle ne fait rien d’autre que de commander le menu. Ce qui se fait sans doute avec la bouche, qui est au principe de la satisfaction, ce qui va à la bouche retourne à la bouche et s’épuise dans ce plaisir que je viens d’appeler - pour me référer à des termes d’usage - « plaisir de bouche »... Concernant la pulsion orale - il est bien clair et bien évident que ce n’est point de nourriture, ni de souvenir de nourriture, ni d’écho de la nourriture, ni de sein de la mère qu’il s’agit - quoi qu’on en pense – mais de quelque chose qui s’appelle « le sein » et qui a l’air d’aller tout seul parce qu’étant de la même série. Si on nous fait cette remarque que « l’objet dans la pulsion n’a aucune importance » c’est probablement parce que  le sein - puisque c’est ainsi dans la pulsion orale que nous le désignons - c’est que « le sein » est tout entier à réviser quant à sa fonction d’ objet. C’est que justement dans sa fonction d’objet - l’ objet(a) tel que, sans doute,  dans un temps d’élaboration qui est celui proprement que moi-même j’apporte - c’est que le sein,  objet(a), comme cause du désir, est quelque chose auquel nous devons donner la fonction que FREUD lui a assigné primitivement, une fonction telle, que nous puissions dire sa place dans  la satisfaction de la pulsion. Nous dirons que la meilleure formule nous semble être celle-ci : que la pulsion en fait le tour...
S’il y a quelque chose à quoi d’abord, pour nous, ressemble la pulsion, ce quelque chose par quoi elle se présentifie, c’est un montage... Je dirai que le montage de la pulsion c’est un montage qui d’abord en apparence se présente pour nous comme n’ayant ni queue ni tête, comme un montage au sens où l’on parle de montage dans un collage surréaliste. Si nous rapprochons les paradoxes que nous venons de définir au niveau du Drang de l’objet, du but de la pulsion, je crois que l’image qui nous viendrait, c’est je ne sais quoi qui montrerait : « la marche d’une dynamo qui serait branchée sur la prise du gaz avec quelque part une plume de paon qui en sort et vient chatouiller le ventre d’une jolie femme qui est là à demeure, pour la beauté de la chose. »"
LACAN, S.XI, 06/05/1964

LACAN-LEXICON, Inconscient, Répétition, Sujet, Trauma, 1964

Si le sujet est le sujet du signifiant, et si le signifiant est constitué en “batterie” — un ensemble au sens mathématique du terme, par opposition à la suite indéfinie des nombres — alors le sujet est pris dans une structure fermée. Ses “stratégies” sont déterminées par la logique interne de ce réseau synchronique, qui produit dans le temps des effets “préférentiels” de retours et de répétitions (c'est l’automaton d’Aristote). Quand le sujet parle, il croit construire librement sa syntaxe (le fil de son récit), mais cette syntaxe — au niveau préconscient — est orientée par des “réserves inconscientes” (au sens de "réserves d'Indiens" précise Lacan !) qui déterminent ce qu’il peut dire ou pas. En particulier, lorsqu’il raconte son histoire (la “mémorialisation”), il se rapproche fatalement d’un noyau inconscient : la zone que Freud décrivait comme celle de la “résistance”, où le discours se resserre, devient répétitif ou se bloque. Cette résistance n’est donc pas celle d’un “moi” intentionnel, mais celle du discours lui-même, qui bute sur ce qu’il ne peut symboliser. Ce noyau, ou ce réel, il nous est présenté par la psychanalyse comme le point traumatique, ce qui ne s’intègre pas dans le récit, mais qui revient toujours sous une autre forme. Structurellement, le sujet est divisé : coupé par le signifiant, il est aussi séparé du réel, qui, lorsqu’il surgit (la tuché, la rencontre), se présente toujours comme “malvenu”, à contretemps. Ce décalage — ce “trop” ou “trop peu” — est le moteur du désir et de la répétition. Ainsi, dans la “scène primitive” comme dans la sexualité en général, quelque chose ne “colle pas” : l’expérience est toujours marquée d’un défaut, d’un ratage originaire. C’est ce caractère d’emblée factice du rapport sexuel qui en fait, pour Lacan, le lieu par excellence du réel.


"Ce noyau, je vous l’ai dit, nous apparaît d’abord comme devant être désigné comme du réel, du réel en tant que l’identité de perception est sa règle... C’est pourquoi il est nécessaire que nous fondions, que nous insérions, cette répétition dans cette schize même, qui se produit dans le sujet à l’endroit de la rencontre, dans cette dimension caractéristique de la découverte analytique et de notre expérience, qui nous fait appréhender, concevoir le réel, dans son incidence dialectique, comme originellement malvenu [δυστυχία dustuchia], et comprendre en quoi c’est par là qu’il se trouve le plus complice de la pulsion chez le sujet... – Pourquoi la scène primitive est-elle si traumatique ? – Pourquoi est-elle toujours trop tôt ou trop tard ? – Pourquoi le sujet y prend-il ou trop de plaisir, du moins est-ce ainsi que d’abord nous avons conçu la causalité traumatique de l’obsessionnel, ou trop peu comme chez l’hystérique ? – Pourquoi sommes-nous forcés ainsi de rappeler que la prétendue maturation des dits « instincts » est en quelque sorte transfilée, transpercée, transfixée, de « tychique » dirai-je (du mot τύχη [tuché]) ?... Pour l’instant, notre horizon, c’est ce qui apparaît de factice dans le rapport fondamental à la sexualité."
LACAN, S.XI, 19/02/1964

Répétition, Réel, Trauma, Inconscient, 1964, FREUD

Rappelons que pour Lacan le réel s'entend comme ce qui, au cœur de l’expérience humaine, échappe à toute symbolisation. Le réel se manifeste sous la forme d’une rencontre manquée, une tuché — un événement qui surgit « comme par hasard » mais dont la portée est décisive. Cette rencontre, toujours essentielle et pourtant inassimilable, apparaît dans l’histoire de la psychanalyse à travers la notion de traumatisme : c’est d’abord sous cette forme que le réel s’est présenté à Freud, comme un point d’origine accidentel mais structurant pour le sujet. À partir de là, Lacan montre que la fonction du principe du plaisir — qui vise l’équilibre et la décharge des tensions — ne suffit pas à « effacer » ce trauma. Car, paradoxalement, c’est dans les processus primaires régis par ce principe que le traumatisme revient, se répétant sous des formes déguisées, notamment dans le rêve. Celui-ci, censé réaliser un désir, réactualise souvent la scène traumatique ou son écran, témoignant d’une contrainte de répétition (Wiederholung) qui excède le principe du plaisir. Ainsi, le principe de réalité ne domine pas le psychisme : il ne parvient pas à résoudre ni à intégrer ce reste du réel. Une part de ce réel demeure « en souffrance », captive dans les rets du désir et des processus inconscients. La réalité psychique se construit donc autour de ce manque central, de ce point où la rencontre avec le réel échoue mais ne cesse de se répéter.


"Rien n’est plus centré, orienté vers ce qui, au cœur de notre expérience, est le noyau du réel. Où, ce réel, le rencontrons-nous ? C’est bien en effet de la structure de cette rencontre, de la fonction nodale, de la fonction répétitive d’une rencontre essentielle, d’un rendez-vous auquel nous sommes toujours appelés avec un réel qui se dérobe, qu’il s’agit dans tout ce que  la psychanalyse a découvert... Ce qui se répète, en effet toute l’expérience de l’analyse nous le montre, c’est toujours quelque chose dont le rapport à la τύχη [tuché] nous est suffisamment désigné par l’expression qui image le mieux... ce qui se produit « comme par hasard »."
LACAN, S.XI, 12/02/1964

Inconscient, Sujet, Signifiant, Remémoration, 1964, FREUD, DESCARTES

Ce dont il s’agit avec l’inconscient, c’est bien du sujet — le même sujet que celui du cogito cartésien, ce point de certitude inauguré par Descartes, mais désormais saisi dans son envers, du côté de l’inconscient. Lacan ne fait pas qu’une analogie : il montre que le sujet de Freud occupe la même place structurale que le sujet de Descartes, ce point d’appui "archimédique" d’où s’est fondée la science moderne — sauf qu’ici, ce point se trouve logé au cœur du non-savoir, du doute, de l’inconscient même. Freud, en faisant du rêve la voie royale de l’inconscient, découvre un champ où il y a effectivement « des pensées » (Gedanken) — pensées inconscientes, certes, mais structurées comme un réseau de signifiants. Ce champ n’est ni spatial ni psychologique : il s’étend « entre perception et conscience », dans une synchronie signifiante animée par "une diachronie constituante et orientée" dit Lacan. La formule « Wo es war, soll ich werden » ne signifie donc pas que le moi doive remplacer le ça, mais que le sujet doit advenir là où l’inconscient était. L’analyse a pour tâche de permettre cet avènement du sujet à travers la remémoration, laquelle n’est pas la réminiscence platonicienne d’une forme idéelle, mais un retour structurant, à travers la parole, vers ce lieu où le sujet peut se reconnaître comme effet du signifiant.

"Il peut paraître, il paraît - à juste titre - nouveau que je me sois référé au sujet quand il s’agit de l’inconscient. J’ai cru pourtant avoir pu vous faire sentir valablement que, de ce qu’il est du sujet, de ce qu’il est de l’inconscient, cela se passe à la même place : à cette place qui - quant au sujet - a eu par l’expérience de Descartes, une valeur qu’on pourrait dire « archimédique », si tant est que ç’ait été là le point d’appui qui ait permis cette toute autre direction qu’a prise la science, et nommément à partir de Newton, réduisant en quelque sorte à un point, le fondement de la certitude inaugurale...
Il faut - pour situer, pour comprendre, les concepts freudiens - partir de ce fondement : que c’est le sujet qui est appelé [« Wo es war, sol ich werden »]... Il faut faire ce qu’on fait en le sachant et en le disant, c’est l’essentiel de la démarche scientifique. Alors, comme il s’agit du sujet, ceci donne sa vraie fonction à ce qu’on appelle, dans l’analyse, la remémoration : la remémoration n’est pas la « réminiscence » platonicienne, ce n’est pas le retour d’une «forme », d’une empreinte, d’un εἵδος [eidos] de beauté et de bien qui nous vient de l’au-delà, d’un Vrai suprême. C’est quelque chose qui nous vient des nécessités structurantes, de quelque chose d’humble, né au niveau des plus basses rencontres, et de toute la cohue parlante qui nous précède, de la structure du signifiant, d’un langage et de langues parlées de façon balbutiante, trébuchante, mais qui ne peuvent échapper à un type de nécessité."
LACAN, S.XI, 29/01/1964

Inconscient, Ontologie, Ethique, Vérité, 1964

L'inconscient freudien, d'apparaître sous le registre du "non-réalisé", entre l'être et le non-être, "ne se prête pas à l'ontologie" dit Lacan. Cela ne veut pas dire qu'il soit inapprochable, son caractère évasif même relève d'uns structure temporelle inédite. Il y va d'une vérité à dire, devant être dite : son statut est essentiellement éthique.


"J’ai insisté sur ce caractère trop oublié (...) de la première découverte de l’émergence de l’inconscient : de ne pas prêter à l’ontologie... C’est que ce n’est ni être ni non-être, c’est du non-réalisé... Ontiquement donc, c’est l’évasif, mais que nous arrivons à cerner dans une structure, et une structure temporelle dont on peut dire qu’elle n’y a jusqu’ici jamais été à proprement parler cernée comme telle... Son statut, que je vous indique si fragile sur le plan ontique, il est éthique, c’est la démarche de Freud dans sa soif de vérité, qui dit : « Quoi qu’il en soit, il faut y aller »."
LACAN, S.XI, 29/01/1964

Inconscient, Cause, Détermination, Langage, 1964

La Cause est un concept remarquablement indéfini : soit on le confond avec celui de détermination, avec la loi, soit on l'utilise à bon escient pour décrire l'existence d'une faille, d'une béance, d'une "clocherie" dans le réel. Or c'est bien dans cette fente, ce trou caractéristique de la cause que se situe l'inconscient freudien, à mi-chemin du réel et de l'irréel, dans un registre caractérisant le "non-né" ou le "non-advenu". La question étant de savoir, précisément, ce qui est en cause dans ce qui cloche, et notamment au niveau des trébuchements du langage (rêves, lapsus, etc.) auxquels Freud rapporte explicitement l'inconscient. Les psychanalystes post-freudiens se sont empressés de suturer la question par des déterminations pseudo-psychologiques, quand ils n'ont pas tenté, à tort, d'y réintroduire le mystère (romantique) de l'immémorial (Jung).


"Essentiellement reste dans la fonction de la cause, une certaine béance... Elle se distingue de ce qu’il y a de déterminant dans une chaîne, autrement dit de la loi. Pour l’exemplifier, je dirais : pensez à ce qui s’image dans la fonction de l’action et de la réaction. Il n’y a, si vous voulez,  qu’un seul tenant : l’un ne va pas sans l’autre. Un corps qui s’écrase au sol, sa masse n’est pas la cause de ce qu’il reçoit en retour de sa force vive. Sa masse est intégrée à cette force qui lui revient pour dissoudre sa cohérence par un effet de retour. Ici pas de béance, si ce n’est à la fin.
Chaque fois que nous parlons de cause, il y a toujours, dans ce terme, quelque chose d’anti-conceptuel, d’indéfini. – « Les phases de la lune sont la cause des marées » : ça c’est vivant,  nous savons à ce moment-là que le mot « cause » est bien employé. – « Les miasmes sont la cause de la fièvre » : ça ne veut rien dire. Là, en somme, il y a un trou et quelque chose qui vient osciller dans l’intervalle. Il n’y a de cause que de ce qui cloche. Entre la cause et ce qu’elle affecte, il y a toujours la clocherie... Eh bien l’inconscient freudien, c’est à ce point - que j’essaie de vous faire viser par approximation - qu’il se situe."
LACAN, S.XI, 22/01/1964

Psychanalyse, Praxis, Recherche, Herméneutique, 1964

S'il est indéniable que la psychanalyse répond au terme de "praxis" ("une action concertée par l’homme, quelle qu’elle soit, qui le met en mesure de traiter le réel par le symbolique"), il convient de se demander : qu’est-ce qui la fonde comme praxis ? Pas seulement des objets, prélevés sur le réel, pas seulement des concepts, afin de définir et caractériser ces objets, mais un champ d'action spécifique. Appartient-elle au registre de la science, voire de la recherche ? Lacan indique se méfier de ce terme de "recherche" qui semble se complaire dans l'horizon (proprement religieux) d'un sens toujours dérobé, d'une signification indéfiniment repoussée ; il préfère situer la praxis psychanalytique du côté des sciences qui trouvent (à l'enseigne d'un certain Picasso...) plutôt que du côté des sciences qui cherchent - nommément l'herméneutique, surtout si elle prétend inspirer voire recouvrir l'ensemble des sciences dites "humaines". Or la psychanalyse - contre toute évidence - n’est pas la recherche d’un sens nouveau qui dévoilerait, par l’interprétation, ce qui était déjà là mais caché.


"Pour moi, je ne me suis jamais considéré comme un chercheur. Comme l’a dit un jour Picasso, au grand scandale des gens qui l’entouraient : « Je ne cherche pas, je trouve. » [ Pablo Picasso : Le désir attrapé par la queue, Gallimard, 1989]. Il y a d’ailleurs dans le champ de la recherche dite scientifique, deux domaines qu’on peut parfaitement reconnaître : celui où l’on cherche, et celui où l’on trouve.
Chose curieuse, ceci correspond à une frontière assez bien définie quant à ce qui peut se qualifier de science. La frontière recouvre très significativement deux versants parfaitement qualifiables dans ce champ de la recherche.
Aussi bien, y a-t-il sans doute quelque affinité entre cette recherche et ce que j’ai appelé le versant religieux. Il s’y dit couramment : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé ». Et « trouvé » est derrière. La question peut-être dont il s’agit, est de savoir s’il ne s’établit pas une sorte d’ouverture à une recherche - voire à une recherche complaisante - dans la mesure où quelque chose de l’ordre de l’oubli, frappe ce qui a été déjà trouvé.
La recherche, en cette occasion, nous intéresse par ce qui dans le débat s’établit au niveau de ce que nous pouvons appeler de nos jours « les sciences humaines ». On voit comme surgir, sous les pas de quiconque trouve, ce que j’appellerais « la revendication herméneutique » qui est justement celle qui cherche, celle qui cherche la « signification » toujours neuve et jamais épuisée, qui serait, au principe, menacée d’être coupée dans l’œuf par celui qui trouve !"
LACAN, S.XI, 15/01/1964

Objet a, Oralité, Analité, Autre, 1963

Avant d'être cet objet externe qu'est le sein, appartenant au corps de la mère, c'est le sujet lui-même qui incarne l'objet (a) dès sa naissance, à cette place de la mamelle, plaqué sur le corps maternel comme pour le compléter. Au niveau anal, le sujet peut déjà se reconnaitre dans un objet distinct et séparé, faisant l'objet de toutes les demandes de la mère.


"Au niveau du stade oral le fond de ce dont il s’agit, c’est que dans l’objet(a) du stade oral - le sein, le mamelon, ce que vous voudrez - le sujet se constituant à l’origine, aussi bien que s’achevant dans le commandement de la voix : – le sujet ne sait pas, ne peut pas savoir jusqu’à quel point il est lui-même - e.s.t. - cet être plaqué sur le poitrail de la mère, sous la forme de la mamelle,  après avoir été également ce parasite plongeant ses villosités dans la muqueuse utérine sous la forme du placenta. – Il ne sait pas, il ne peut pas savoir que (a), le sein, le placenta, c’est la réalité de lui : (a), par rapport à l’Autre, grand A. – Il croit que (a) c’est l’Autre, et qu’ayant affaire à (a), il a affaire à l’Autre, au Grand Autre, à la mère. Donc, par rapport à ce stade, au niveau anal, c’est pour la première fois qu’il a l’occasion de se reconnaître en quelque chose, en un objet autour de quoi tourne, car elle tourne cette demande de la mère dont il s’agit : « Garde-le, donne-le ». Et si je le donne, où est-ce que ça va ?"
LACAN, S.X, 19/05/1963

Cause, Objet a, Désir, Symptôme, 1963

 L'objet (a) se présente toujours dans une fonction de cause, précisément comme cause d'un désir puisque "la cause pour subsister dans sa fonction mentale, nécessite toujours l’existence d’une béance entre elle et son effet". Ce qui ne signifie pas que l'objet-cause, à défaut de satisfaire le désir, ne produise pas un résultat concret, en l'occurence le symptôme.


"Par rapport au désir, l’objet(a) se présente toujours en « fonction de cause » au point d’être pour nous - possiblement, si vous m’entendez, si vous me suivez - le point racine où s’élabore dans le sujet la fonction de la cause même. Si c’est là cette forme primordiale, la cause d’un désir, en quoi j’ai souligné pour vous qu’ici se marque la nécessité par quoi la cause pour subsister dans sa fonction mentale, nécessite toujours l’existence d’une béance entre elle et son effet. Béance si nécessaire pour que nous puissions penser encore « cause », que là où elle risquerait d’être comblée, il faut que nous fassions subsister un voile sur le déterminisme étroit, sur les connexions par où agit la cause... L’origine de cette nécessité de subsistance de la cause est dans ceci : que sous sa forme première elle est cause du désir, c’est-à-dire de quelque chose d’essentiellement non effectué."
LACAN, S.X, 19/05/1963

Amour, Jouissance, Femme, Autre, 1963

 La femme est contrainte d'aimer l'homme en un point situé au-delà de ce qui arrête son désir, en un point où l'homme - en quelque sorte châtré - n'a plus rien à donner. S'il est vrai, comme le dit Lacan à propos de la femme, que sa propre jouissance "s’écrase dans la nostalgie phallique", au moment où elle survient il est trop tard pour s'unir à l'Autre, sauf métaphoriquement, dans l'amour.


"Le fait que le désir mâle rencontre sa propre chute avant l’entrée dans la jouissance du partenaire féminin, de même que la jouissance, si l’on peut dire, de la femme s’écrase - pour reprendre un terme emprunté à la phénoménologie du sein et du nourrisson - s’écrase dans la nostalgie phallique, et dès lors est nécessitée, je dirai presque condamnée à n’aimer l’autre - mâle – qu’en un point situé au-delà de ce qui, elle aussi, l’arrête comme désir. Cet au-delà, où l’Autre masculin est visé dans  l’amour, c’est un au-delà, disons-le bien : soit transverbéré par la castration, soit transfiguré en termes de puissance, ce n’est pas l’autre, en tant qu’à l’autre il s’agirait d’être uni. La jouissance de la femme est en elle-même, elle ne la conjoint pas à l’Autre... L’homme n’est dans la femme que par délégation de sa présence, sous la forme de cet organe caduc, de cet organe dont il est fondamentalement, dans la relation sexuelle et par la relation sexuelle, châtré. Ceci veut dire que les métaphores du don ici ne sont que métaphores, que - comme il n’est que trop évident - il ne donne rien."
LACAN, S.X, 19/05/1963

Angoisse, Objet a, Analité, Obsession, 1963

Freud a désigné l'angoisse comme signal d'un danger. Lacan ajoute que ce sentiment de danger ce rapport au désir de l'Autre, et plus précisément au fait "que je ne sais pas quel objet petit(a) je suis pour ce désir". L'angoisse est d'autant plus prégnante que l'objet - parmi ses différentes occurrences - apparaît comme immédiatement détachable ou "cessible" (selon sa nature propre), soit l'objet anal, ce qui se confirme par l'importance toute particulière de l'angoisse dans la clinique de l'obsessionnel.


"Un objet choisi pour sa qualité d’être spécialement cessible, d’être originellement un objet lâché... Cet objet qu’il ne peut s’empêcher de retenir comme le bien qui le fait valoir, mais qui n’est aussi de lui que le déjet, la déjection, voilà les deux faces par où il détermine le sujet même comme compulsion et comme doute. C’est de cette oscillation même entre ces deux points extrêmes que dépend le passage, le passage momentané, possible, du sujet par ce point zéro, où c’est en fin de compte entièrement à la merci de l’autre - ici au sens duel, du petit autre - que se trouve le sujet...
Et cet objet est le principe qui me fait désirer, qui me fait désirant d’un manque, qui n’est pas un manque du sujet, mais un défaut fait à la jouissance qui se situe au niveau de l’Autre. Et c’est en cela que toute fonction du petit(a) ne se réfère qu’à cette béance centrale qui sépare au niveau sexuel le désir du lieu de la jouissance, qui nous condamne à cette nécessité qui veut que la jouissance ne soit pas « de nature » pour nous, promise au désir, que le désir ne peut faire que d’aller à sa rencontre, que pour la rencontrer le désir ne doit pas seulement comprendre mais franchir le fantasme même qui le soutient et le construit."
LACAN, S.X, 03/07/1963