Lacan prend acte de la thèse freudienne : la sexualité biologique (reproduction) n’a aucune représentation directe dans le psychisme. L’être sexué ne s'y définit pas comme mâle ou femelle, mais seulement par les couples activité/passivité, insuffisants pour rendre compte de la différence sexuelle. Le sujet doit donc apprendre ce qu’est « être un homme » ou « être une femme », et cet apprentissage vient du champ de l’Autre, c’est-à-dire du langage, de la culture et en particulier du scénario oedipien. Par ailleurs, dans le psychisme, la sexualité ne se représente que par la pulsion partielle, qui ne vise pas la reproduction mais des objets partiels. Cette structuration est fondée sur un double manque : un manque symbolique, lié à l’entrée dans le langage ; un manque réel, lié au fait que le vivant sexué perd quelque chose et devient mortel. Contre le mythe d’Aristophane, qui explique l’amour par la recherche d’un complément sexuel, l’analyse montre que le sujet cherche plutôt la part perdue de lui-même, celle qu’il a sacrifiée en devenant un être sexué mortel. C'est bien pourquoi la pulsion, au départ, porte cette dimension de mort - c’est ce que Freud nomme pulsion de mort. Lacan propose un mythe nouveau pour figurer cette « part manquante » : la lamelle. Ce mythe sert à penser la libido comme un organe (et non comme une énergie), certes irréel (et non imaginaire), mais articulé au réel. Cet organe peut même trouver des formes d’incarnation concrète, par exemple dans les tatouages ou scarifications primitives, qui marquent la place du sujet dans le groupe tout en ayant une dimension érotique prononcée.
"Deux manques, ici se recouvrent. L'un qui ressortit au défaut, au défaut central autour de quoi tourne la dialectique de l'avènement du sujet à son propre être dans la relation à l'Autre, par le fait que le sujet dépend du signifiant, en tant que le signifiant est d'abord au champ de l'Autre. Et ce manque vient à recouvrir, vient à reprendre un autre manque qui est le manque réel, antérieur à ce que nous le situions à l'avènement du vivant, à la reproduction sexuée. Ce manque c'est ce que le vivant perd de sa part de vivant à être ce vivant qui se reproduit par la voie sexuée, c'est ce manque qui se rapporte à quelque chose de réel qui est ceci : que le vivant, d'être sujet au sexe, est tombé sous le coup de la mort individuelle. Cette poursuite du complément que nous image de façon aussi pathétique et de façon aussi leurrante le mythe d'ARISTOPHANE : que c'est l'autre, que c'est sa moitié sexuelle que le vivant cherche dans l'amour.A cette façon de représenter mythiquement « le mystère de l'amour », l'analyse, l'expérience analytique substitue la recherche, non du complément, du complément sexuel, mais la recherche de cette part à jamais perdue de lui-même dans le vivant, qui est constituée du fait : qu'il n'est qu'un vivant sexué, et qu'il n'est plus immortel. C'est ceci à quoi s'attache, et qu'il nous fait saisir, que la pulsion - la seule : la pulsion partielle - a cette face foncière, au principe même de ce qu'il la fait servir à induire le vivant par un leurre, dans sa réalisation sexuelle, c'est au départ qu'elle est pulsion, pulsion que FREUD a appelé « pulsion de mort » - qu'elle représente en elle - même la part de la mort dans le vivant sexué.C'est pour cela que défiant, peut-être pour la première fois dans l'histoire, ce mythe pourvu d'un si grand prestige - que j'ai évoqué sous le chef où PLATON le met - d'ARISTOPHANE, j'y ai substitué la dernière fois, ce mythe fait pour incarner cette part manquante, ce mythe que j'ai appelé celui de la lamelle, qui a cette importance nouvelle, dont nous verrons à l'usage ce qu'il nous apportera d'appui, de désigner la libido comme à concevoir, non pas sous la forme d'un champ de forces mais sous la forme d'un organe. La libido est l'organe essentiel à comprendre de la nature de la pulsion."LACAN, S.XI, 27/05/1964