Angoisse, Phallus, Désir, Autre, 1962

Partons de ceci que le désir du sujet se constitue fondamentalement au niveau de l'Autre et de son désir ; que cela implique le sujet en tant que probable instrument ou même objet de ce désir ; que de ce désir de l'Autre le sujet a priori ne sait rien : comment la rencontre factuelle, quoique confuse, avec celui-ci ne serait-elle pas source d'angoisse ? D'où la formule de Lacan : "l’angoisse c’est la sensation du désir de l’Autre" ; d'où également l'idée que l'angoisse serait une peur sans objet... à ceci près que l'objet inconnu est ici le sujet : que suis-je en tant qu'objet pour l'Autre ? Bien sûr le désir de l'Autre ne se rencontre que par le biais de la demande, comme ce X justement angoissant entre demande et désir, un X qui trouve cependant toujours à se symboliser - voire à s'instumentaliser - en tant que Phallus. Comme le dit Lacan, c'est toujours la "loi de papa", et l'on comprend mieux pourquoi l'"angoisse de castration" demeure en la matière un standard, de façon d'ailleurs asymétrique et fort inégalitaire entre l'homme et la femme. Car la femme n'a pas besoin d'aller beaucoup plus loin que le "penisneid" initial pour s'apercevoir que "ce n'est pas ça", dépasser le complexe de castration et traverser de façon satisfaisante l'Oedipe pour trouver le chemin de son désir. Tandis que l'homme doit assumer pour lui-même que la "livre de chair" dont il est affublée, "ce n'est pas ça" et en tout cas "ça ne marche pas comme ça", en tant qu'être civilisé il doit s'introduire dans le champ du désir plus indirectement, par le biais de la demande et de la symbolisation (avec le risque de confusion demande/désir où s'empêtre typiquement le névrosé, lequel n'en a donc jamais fini avec l'angoisse de castration).


"La fonction phallique, ça n'a absolument pas d'autre sens que d'être ce qui donne la mesure de ce champ à définir, à l'intérieur de la demande, comme le champ du désir... Je ne connais pas le désir de l’Autre : angoisse ! Mais j’en connais l’instrument : le phallus, et qui que je sois, homme ou femme, je suis prié d’en passer par là et de ne pas faire d’histoire, ce qui s’appelle en langage courant : «  continuer les principes de papa »... Ce qu’on appelle « la baraka » dans la tradition sémite, et même biblique à proprement parler : ce qui me fait le prolongement vivant, actif, de la loi du père, du père comme origine de tout ce qui va se transmettre comme désir...
Disons-le grossièrement, le sujet demande le phallus et le phallus désire. C'est aussi bête que ça. C'est de là tout au moins qu'il faut partir comme formule radicale pour voir effectivement ce qui en effet dans l'expérience se modèle, se module autour de ce rapport du sujet au phallus en tant que, vous le voyez, il est essentiellement de nature identificatoire, et que s'il y a quelque chose qui effectivement peut provoquer ce surgissement d'angoisse lié à la crainte d'une perte, c'est le phallus. Pourquoi non pas le désir ? Il n'y a pas de crainte de l'aphanisis. Il y a la crainte de perdre le phallus, parce que seul le phallus peut donner son champ propre au désir."
LACAN, S.IX, 04/04/1962

Autre, Jouissance, Chose, Réel, 1962

Dire que le désir de l'homme est le désir de l'Autre, en tant que l'Autre est d'abord le lieu de la chaîne signifiante, revient à rapporter le désir au signifiant pur de la loi. Une loi qui interdit précisément la jouissance de cet unique Autre réel - puisque l'Autre symbolique "est à être" sans être, et puisqu'il n'y a pas d'Autre de l'Autre - qu'est la Chose. "Dire que l’Autre c’est la loi ou que c’est la jouissance en tant qu’interdite, c’est la même chose", précise Lacan...Pour autant la Chose elle-même n'est pas interdite mais plutôt impossible, étant de l'ordre du réel, soit ce qui a disparu (la jouissance) en ne laissant derrière que son propre vide.


"L’Autre est à être, il n’est donc pas. Il a tout de même quelque réalité, sans cela je ne pourrais même pas le définir comme le lieu où se déploie la chaîne signifiante. Le seul Autre réel - puisqu’il n’y a nul Autre de l’Autre, rien qui garantisse la vérité de la loi - le seul Autre réel étant ce dont on pourrait jouir sans la loi. Cette virtualité définit l’Autre comme lieu, la Chose en somme élidée, réduite à son lieu, voilà l’Autre avec un grand A."
LACAN, S.IX, 04/04/1962

Sujet, Chose, Trait unaire, Objet, 1962

D'abord est la Chose, à laquelle le sujet ne peut que désirer revenir... Mais ce sera au terme d'un parcours dans lequel il aura à se supporter comme sujet du langage ("Là où c'était - la Chose - je dois advenir"), sujet aliéné, ce qui commence par l'emprunt à l'Autre d'un premier trait unaire. Le sujet nait de cette possibilité de compter 1 en plus, ce trait qui en même efface la Chose et absente le sujet de son propre calcul - soit l'inconscient même. Le désir et son objet, palliatif de la Chose, se créent dans la tension de ce rapport à l'Autre, dans l'en-deça du passage nécessaire par le signifiant : "L’objet du désir ne se constitue que dans le rapport à l’Autre, en tant que lui-même s’origine de la valeur du trait unaire. Nul privilège dans l’objet, sinon dans cette valeur absurde donnée à chaque trait d’être un privilège."


"L'apparition, à l'état nu, du sujet n'est rien que cela : que la possibilité d'un signifiant de plus, d'un 1 en plus, grâce à quoi il constate lui-même qu'il y en a l qui manque... Bien sûr, le sujet lui-même au dernier terme est destiné à la Chose, mais sa loi, son fatum plus exactement, est ce chemin, qu'il ne peut décrire que par le passage par l'Autre, en tant que l'Autre est marqué du signifiant... Ainsi donc ce que nous voyons c’est que le sujet pour trouver la Chose, s’engage d’abord dans la direction opposée : qu’il n’y a pas moyen d’articuler ces premiers pas du sujet, sinon par un rien qu’il il est important de vous faire sentir dans cette dimension même, à la fois métaphorique et métonymique du premier jeu signifiant."
LACAN, S.IX, 28/03/1962

Désir, Savoir, Autre, Névrose, 1962

Si le "pas possible" de l'énonciation première, celle du trait unaire, se fait demande réitérée, la demande se heurte à l'impuissance de l'Autre à répondre, et même à un impossible réel : la limitation de son savoir. C'est ici que prend naissance le désir et son objet : "Le désir se constitue comme la partie de la demande qui est cachée à l'Autre. Cet Autre qui ne garantit rien, justement en tant qu'Autre, en tant que lieu de la parole, c'est là qu'il prend son incidence édifiante, il devient le voile, la couverture, le principe d'occultation de la place même du désir, et c'est là que l'objet va se mettre à couvert." Le sujet n'en reste pas moins suspendu au désir de l'Autre, donc de quelque manière à son savoir même et surtout s'il vient à manquer. C'est ainsi que le désir de savoir devient la marotte du névrosé et l'objet même de toutes ses demandes, l'exigeant de l'Autre et s'y engageant personnellement - mais c'est surtout au sens où il ne manque pas de le faire savoir !


"Que s'il y a une existence qui se constitue d'abord, c'est celle-là, et qu'elle se substitue à l' existence du sujet lui-même, puisque le sujet, en tant que suspendu à l'Autre, reste également suspendu à ceci que du côté de l'Autre rien n'est sûr, sauf justement qu'il cache, qu'il couvre quelque chose qui est cet objet, cet objet qui n'est encore peut-être rien en tant qu'il va devenir l'objet du désir. L'objet du désir existe comme ce rien même dont l'Autre ne peut savoir que c'est tout ce en quoi il consiste. Ce rien en tant que caché à l'Autre prend consistance, il devient l'enveloppe de tout objet devant quoi la question même du sujet s'arrête, pour autant que le sujet alors ne devient plus qu'imaginaire. La demande est libérée de la demande de l'Autre dans la mesure où le sujet exclut ce non-savoir de l'Autre. Mais il y a deux formes possibles d'exclusion : - « Je m'en lave les mains de ce que vous savez ou de ce que vous ne savez pas, et j'agis ». « Vous n'êtes pas sans ignorer... » veut dire à quel point je m'en moque que vous sachiez ou que vous ne sachiez pas. - Mais il y a aussi l'autre façon: « il faut absolument que vous sachiez » et c'est la voie que choisit le névrosé, et c'est pour cela qu'il est si je puis dire, désigné d'avance comme votre victime... Le névrosé veut que, faute de pouvoir - puisqu’il s’avère que l’Autre ne peut rien - à tout le moins il sache... Je vous ai parlé tout à l’heure d’engagement : le névrosé, contrairement à ce qu’on croit, est quelqu’un qui s’engage comme sujet."
LACAN, S.IX, 21/03/1962

Désir, Complexe d'Oedipe, Demande, Amour, FREUD, 1962

Quel est le message de Freud à propos de son insistance sur la question du Père et du complexe d'Oedipe ? Ceci essentiellement que désir humain est structuré par un noeud interne - gros de toute névrose future - entre une demande et un désir, "– une demande qui prend une valeur si privilégiée qu’elle devient le commandement absolu, la loi, – et un désir, lequel est le désir de l’Autre, de l’Autre dont il s’agit dans l’Œdipe." Il est demandé au sujet de ne pas désirer (= il est interdit de désirer) celle qui a été l'objet du désir du père. Or intégrer cet interdit revient à tuer symboliquement ce père par ailleurs aimé, donc à porter jusqu'à l'absolu non seulement cet amour mais aussi bien cet interdit (d'où la névrose).


"C’est dans ce rapport à l’Autre, le père tué, au-delà de ce trépas du meurtre originel, que se constitue cette forme suprême de l’amour. C’est le paradoxe, non du tout dissimulé, même s’il est élidé par ce voile aux yeux, qui semble ici toujours accompagner de Freud la lecture : ce temps est inéliminable, qu’après le meurtre du père surgit pour lui (...) cet amour suprême pour le père, lequel fait justement de ce trépas du meurtre originel la condition de sa présence désormais absolue. La mort en somme, jouant ce rôle, se manifestait comme pouvant seule le fixer dans cette sorte de réalité, sans doute la seule comme absolument perdurable, d’être comme absent. Il n’y a nulle autre source à l’absoluité du commandement originel."
LACAN, S.IX, 21/03/1962

Sujet, Tore, Privation, Frustration, 1962

Ce que peut nous montrer le tore, à partir de l'inscription symbolique du sujet depuis le trait unaire, en tant que fondé sur une exception, c'est d'abord la structure d'une privation réelle. Mais à partir du moment où un tour complet du tore est effectuée (par la répétition indéfinie du premier trait), l'énonciation de la demande finit par rencontrer la question du désir, qui provient de l'Autre : ii suffit d'imaginer un second tore dont la partie pleine passe par le vide intérieur du premier, pour mettre en place la dialectique du désir et de la demande, et avec elle le stade imaginaire de la frustration (après celui de la privation). Observons combien cette structure semble faite pour représenter l'ordinaire du névrosé, si prompt à faire passer dans la demande l'objet de son désir, et dans la dépendance qui est la sienne, à essayer de conformer son désir à la demande de l'Autre.


"Le 1 du tour unique, le 1 qui distingue chaque répétition dans sa différence absolue, ne vient pas au sujet - même si son support n’est rien d’autre que celui du bâton réel - ne vient pas d’aucun ciel, il vient d’une expérience constituée, pour le sujet auquel nous avons affaire : – par l’existence, avant qu’il ne soit né, de l’univers du discours, – par la nécessité que cette expérience suppose, du lieu de l’Autre avec le grand A, tel que je l’ai antérieurement défini. C’est ici que le sujet va conquérir l’essentiel, ce que j’ai appelé cette seconde dimension, en tant qu’elle est fonction radicale de son propre repérage dans sa structure, si tant est que métaphoriquement, mais non sans prétendre atteindre dans cette métaphore la structure même de la chose, nous appelons structure de tore cette seconde dimension en tant qu’elle constitue parmi tous les autres, l’existence de lacs irréductibles à un point, de lacs non évanouissants... C’est dans l’Autre que vient nécessairement à s’incarner cette irréductibilité des deux dimensions pour autant que, si elle est quelque part sensible, ce ne peut être - puisque jusqu’à présent  le sujet n’est pour nous que le sujet en tant qu’il parle - que dans le domaine du symbolique... C’est à cela que va au maximum me servir le schématisme du tore, vous allez le voir, et à partir de l’expérience majorée par la psychanalyse et l’observation qu’elle éveille. L’ objet de son désir, le sujet peut entreprendre de le dire. Il ne fait même que cela. C’est plus qu’un acte d’énonciation, c’est un acte d’imagination. Ceci suscite en lui une manœuvre de la fonction imaginaire, et d’une façon nécessaire cette fonction se révèle présente dès qu’apparaît  la frustration."
LACAN, S.IX, 14/03/1962

Trait unaire, Sujet, Tore, Intériorité, 1962

Le tore se présente comme une surface de révolution autour d'un axe engendrant une surface fermée, ou pour le dire plus simplement un anneau. Cette surface montre au mieux la structure topologique du sujet en tant que constitué primitivement par le trait unaire, celui-là même que forme le premier cercle (plein) tracé autour de l'anneau. Contrairement à la simple surface plane ou à la sphère, le tore possède cette propriété de permettre un tracé qui ne puisse en aucun cas se réduire à un point, mais qui va bien plutôt de se répéter jusqu'à effectuer un autre type de révolution tout le long de l'anneau, pour former cette fois une cercle vide. Ce dernier tour apparaissant en surplus échappe nécessairement au comptage du sujet, lequel se constitue ainsi comme -1. C'est que le sujet, de part sa structure topologique infiniment plane, ne peut saisir son intériorité que par le détour de l'Autre, cet Autre passant nécessairement par l'intérieur de l'anneau, en position d'interlocuteur : l'intériorité du sujet apparaît donc ici comme strictement équivalente à son extériorité. N'en subsiste que l'objet 'a', résultat de l'impossibilté de l'Autre à soutenir la demande, mais également soutien du désir.


"C’est une bonne surface, vous le voyez, puisqu’elle préserve, je dirai nécessairement… elle ne pourrait pas être la surface qu’elle est s’il n’y avait pas un intérieur... Et si tant est - comme nous le dit Kant - qu’il y ait une esthétique transcendantale. J’y crois, simplement je crois que la sienne n’est pas la bonne, parce que justement c’est une esthétique transcendantale d’un espace qui n’en est pas Un d’abord, et  secundo où tout repose sur la possibilité de la réduction de quoi que ce soit qui soit tracé à la surface, qui caractérise cette esthétique, de façon à pouvoir  se réduire à un point, de façon que la totalité de l’inclusion que définit un cercle puisse se réduire à l’unité évanouissante d’un point quelconque autour duquel il se ramasse... On pose qu’il y a une structure topologique dont il va s’agir de démontrer en quoi elle est nécessairement celle du sujet, laquelle comporte qu’il y ait certains de ses  lacs qui ne puissent pas être réduits... Supposons donc que toute énonciation synthétique - il y en a un certain nombre au principe du sujet, et pour le constituer - eh bien, se déroule selon un de ces cercles, dit cercle plein, et que c'est cela qui nous image le mieux ce qui, dans la boucle de cette énonciation, est serré d'irréductible... Je n’ai qu’à continuer ce que je vous avais d’abord dessiné en plein, puis en pointillés, cela va faire une bobine... Voilà donc la série des tours qui font dans la répétition unaire que, ce qui revient est ce qui caractérise le sujet primaire dans son rapport signifiant d’automatisme de répétition."
LACAN, S.IX, 07/03/1962

Trait unaire, Un, Impossible, Sujet, 1962

En matière de logique des classes, Lacan entend briser ce qu'il appelle la solidarité "inclusive" de la totalité et de l'unité, une conception traditionnelle mais purement abstraite (en vérité imaginaire) de l'Un. Arguant que toute classe présuppose un classement, il convient de faire droit à l'opération du sujet qui est précisément d'exclusion et non d'inclusion : définir un ensemble, c'est d'abord marquer ce qui ne saurait exister sans (un trait unaire 1 : par ex. la mamme chez les mammifères). C'est parce qu'il y a cet impossible ("qu'il n'y ait mamme") que se remplit possiblement la classe. Et c'est aussi parce que le sujet énonce ce pas possible bien réel, qu'il se constitue comme -1, qu'il disparaît dans ce qu'il énonce (ne se repérant dans la phrase que du "ne" explétif).


"C’est donc le sujet - comme il fallait s’y attendre - qui introduit la privation, et par l’acte d’énonciation qui se formule essentiellement ainsi : « Se pourrait-il qu’il n’y ait mamme ? » ne qui n’est pas négatif, ne qui est strictement de la même nature que ce que l’on appelle explétif dans la grammaire française. C’est là le commencement de toute énonciation du sujet concernant le réel... Dans le premier cadran, il s’agit de préserver les droits du « rien » en haut, parce que c’est lui qui crée en bas le « peut-être », c’est-à-dire la possibilité. Loin qu’on puisse dire comme un axiome - et c’est là l’erreur stupéfiante de toute la déduction abstraite du transcendantal - loin qu’on puisse dire que tout réel est  possible, ce n’est qu’à partir du « pas possible » que le réel prend place... Ce que le sujet cherche, c’est ce réel en tant que justement « pas possible », c’est l’exception. Et ce réel existe bien sûr. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il n’y a justement que du « pas possible » à l’origine de toute énonciation, mais ceci se voit de ce que c’est de l’énoncé du « rien » qu’elle part... Dire que le sujet se constitue d’abord comme –1, c’est bien quelque chose où vous pouvez voir qu’effectivement, comme on peut s’y attendre, c’est comme verworfen que nous allons le retrouver."
LACAN, S.IX, 07/03/1962

Trait unaire, Narcissisme, Idéal-du-moi, 1962

Le concept lacanien de "trait unaire" est identique à ce que l'on trouve chez Freud au titre du "narcissisme des petites différences". Ce trait particulier, loin d'unifier un ensemble de qualités, n'est pas autre chose que le support d'une différence absolue. Le narcissisme, même imaginaire, n'existerait pas sans ce marquage symbolique, sans cette identification valant comme idéal-du-moi. Il n'y aurait pas non plus d'identification à l'objet (a), en cette occasion où le sujet (1) disparaît comme signifiant (-1), où l'objet lui-même se connote de son manque (-a).


"Ce qu’il [Freud] appelle narcissisme des petites différences, c’est la même chose que ce que j’appelle  la fonction du trait unaire, car ce n’est rien d’autre que le fait que c’est à partir d’une petite différence - et dire « petite différence », cela ne veut rien dire d’autre que cette différence absolue dont je vous parle, cette différence détachée de toute comparaison possible - c’est à partir de cette petite différence, en tant qu’elle est la même chose que le grand I, l’idéal du moi, que peut s’accommoder toute la visée narcissique : le sujet constitué ou non comme porteur de ce trait unaire... C’est parce qu’il y a un sujet qui se marque lui-même, ou non, du trait unaire, qui est 1 ou –1, qu’il peut y avoir un ( –a), que le sujet peut s’identifier à la petite balle du petit-fils de Freud, et spécialement dans la connotation de son manque : « il n’y a pas », ens privativum... Le –1 constitutif de l’ens privativum, nous le voyons ainsi lié à la structure la plus primitive de notre expérience de l’inconscient, pour autant qu’elle est celle, non pas de l’interdit, ni du « dit que non », mais du « non-dit », du point où le sujet n’est plus là pour dire s’il n’est plus maître de cette identification au 1, ou de cette absence soudaine du 1 qui pourrait le marquer."
LACAN, S.IX, 28/02/1962

Désir, Manque, Homosexualité, Amour, 1962

Il n'y a pas de sujet de l'amour, seulement un sujet du désir. La "pathologique", au sens kantien, n'est impliqué que dans le premier, puisqu'on s'aime soi-même dans l'autre, tandis que le désir pointe sur ce qui manque dans l'Autre (et non pas simplement ce qui me manque) : c'est pourquoi l'hétérosexualité est possible, puisque d'un côté comme de l'autre, c'est le Phallus qui est visé, symbole de ce manque (dans le cas de l'homosexualité masculine, il y fait le support pénien.). Autrement dit je désire l'autre comme désirant.


"Au point de vue du désir, au niveau du désir, tout ce corps de l'autre, du moins aussi peu que je l'aime, ne vaut que, justement, par ce qui lui manque. Et c'est très précisément pour ça que j'allais dire que l'hétérosexualité est possible. Car il faut s'entendre : si c'est vrai - comme l'analyse nous l'enseigne - que c'est le fait que la femme soit effectivement, du point de vue pénien, castrée, qui fait peur à certains... ’homosexuel vous le dit lui-même, que ça lui fait quand même un effet, et très pénible, d’être devant ce pubis sans queue... Il n’est pas fou de penser que ce qui chez les êtres qui peuvent avoir un rapport normal, satisfaisant j’entends, de désir, avec le partenaire du sexe opposé, non seulement ça ne lui fait pas peur, mais c’est justement ça qui est intéressant, à savoir que ce n’est pas parce que le pénis n’est pas là, que le phallus n’y est pas. Je dirai même : au contraire !"
LACAN, S.IX, 21/02/1962

Pulsion de mort, Vie, Signifiant, Phallus, 1962, FREUD

 L'instinct de mort et l'instinct de vie ne s'opposent ni ne se complètent comme le feraient deux "forces" contraires. Le premier, Thanatos, est la vie considérée du point de vue du plaisir comme éternel retour du même (jusqu'à l'inanimé), mais pareil processus n'existe nulle part dans la nature puisqu'il n'est qu'une conséquence du signifiant et de sa fonction néantifiante. Quant au second, Eros, il se trouve lui aussi symbolisé et filtré par un signifiant spécifique, ce signifiant de la vie qu'est le Phallus, autrement dit il n'est pas davantage immanent ou naturel.


"Je vous rappelle que cet instinct de mort n’est pas un ver rongeur, un parasite, une blessure, même pas un principe de contrariété, quelque chose comme une sorte de yin opposé au yang, d’élément d’alternance. C’est pour Freud nettement articulé : un principe qui enveloppe tout le détour de la vie, laquelle vie, lequel détour, ne trouvent leur sens qu’à le rejoindre...  La définition de  l’instinct de vie dans Freud - il n’est pas vain d’y revenir, de le ré-accentuer - n’est pas moins  atopique, pas moins étrange, de ceci qu’il convient toujours de re-souligner : qu’il est réduit à l’éros, à la libido... Je pense que la fonction du phallus, d’être ce autour de quoi vient s’articuler cet éros, cette libido, désigne suffisamment ce qu’ici j’entends pointer."
LACAN, S.IX, 28/02/1962

Trait unaire, Nom, Cogito, Pensée, 1962, DESCARTES

Comme principale manifestation du trait unaire, le nom propre est impliqué inconsciemment à l'origine de chaque acte énonciatif. Un signifié, emprunté au "monde commun" du préconscient émerge comme produit de l'articulation signifiante, avant de se réfléchir à la surface de la conscience. Avec le cogito cartésien, il est manifeste que quelque chose se nomme inconsciemment au niveau de l'énonciation insensée du "je pense", laquelle produit le signifié du "je suis" et finit par s'y arrêter comme sur un résultat fiable (car il impossible de se maintenir indéfiniment sur la crête du "je pense", fût-il décuplé et répété en boucle), une amarrage qu'il faut bien aller chercher à l'extérieur, au niveau du préconscient, "mais dans l'identification qui est celle qui se fait au trait unaire" précise Lacan, soit ici au niveau de la pure différence du "je pense", émerge quelque chose qui finalement s'articule entre être et pensée : cogito ergo sum


"En tant que le sujet parle, il ne peut faire que de s'avancer toujours plus avant dans la chaîne, dans le déroulement des énoncés, mais que, se dirigeant vers les énoncés, de ce fait même, dans l'énonciation il élide quelque chose qui est à proprement parler ce qu'il ne peut savoir, à savoir : le nom de ce qu'il est en tant que sujet de l'énonciation. Dans l'acte de l'énonciation il y a cette nomination latente qui est concevable comme étant le premier noyau, comme signifiant, de ce qui ensuite va s'organiser comme chaîne tournante telle que je vous l'ai représentée depuis tou-jours, de ce centre, ce cœur parlant du sujet que nous appelons l'inconscient... C’est pour autant - et pour la moindre de ses paroles - que le sujet parle, qu’il ne peut faire que de toujours une fois de plus se nommer sans le savoir, et sans savoir de quel nom."
LACAN, S.IX, 10/01/1962

"La recherche du sujet telle qu'elle existe dans Descartes est strictement différent de tout ce qui a pu se faire à aucun autre moment de la réflexion philosophique, pour autant que c'est bien le sujet qui lui-même est interrogé, qui cherche à l'être comme tel ; le sujet en tant qu'il y va de toute la vérité à son propos, que ce qui y est interrogé c'est non pas le réel et l'apparence, le rapport de ce qui existe et de ce qui n'existe pas, de ce qui demeure et de ce qui fuit, mais de savoir si on peut se fier à l'Autre, si comme tel ce que le sujet reçoit de l'extérieur est un signe fiable...
C'est-à-dire que c'est en tant que ce « Je pense » impossible passe à quelque chose qui est de l'ordre du préconscient, qu'il implique comme signifié - et non pas comme conséquence, comme détermination ontologique - qu'il implique comme signifié que ce « Je pense » renvoie à un « ... je suis » qui désormais n'est plus que le « X » de ce sujet que nous cherchons, à savoir de ce qu'il y a au départ pour que puisse se produire l'identification de ce « Je pense »...
Si nous voyons que quelque chose dans l'appréhension cartésienne, qui se termine sûrement dans son énonciation à des niveaux différents, puisque aussi bien il y a quelque chose qui ne peut pas aller plus loin que ce qui est inscrit ici, et il faut bien qu'il fasse intervenir quelque chose qui vient, non pas de la pure élaboration, sur quoi puis-je me fonder, qu'est-ce qui est fiable? Il va bien être amené comme tout le monde à essayer de se débrouiller avec ce qui se vit à l'extérieur, mais dans l'identification qui est celle qui se fait au trait unaire, est-ce qu'il n'y en a pas assez pour supporter ce point impensable et impossible du « Je pense» au moins sous sa forme de différence radicale ? Si c'est par « 1 » que nous le figurons ce « Je pense», je vous le répète: en tant qu'il ne nous intéresse que pour autant qu'il a rapport avec ce qui se passe à l'origine de la nomination, en tant que c'est ce qui intéresse la naissance du sujet : le sujet est ce qui se nomme. Si nommer c'est d'abord quelque chose qui a affaire avec une lecture du trait «1 » désignant la différence absolue, nous pouvons nous demander comment chiffrer la sorte de « je suis » qui ici se constitue, en quelque sorte rétroactivement, simplement de la re-projection de ce qui se constitue comme signifié du « Je pense », à savoir la même chose, l'inconnu [X] de ce qui est à l'origine sous la forme du sujet... Il est aussi bien vrai qu’il « n’est pas », puisque ici il « n’est » qu’à « penser à penser », est pourtant corrélatif,  indispensable - et c’est bien ce qui fait la force de l’argument cartésien - de toute appréhension  d’une pensée dès lors qu’elle s’enchaîne, cette voie lui est ouverte vers un cogitatum de quelque chose qui s’articule : cogito ergo sum. 
LACAN, S.IX, 10/01/1962

Nom, Signifiant, Lettre, Objet, 1962

Rien n'est plus indicatif, dans l'analyse, que la façon dont le patient se rapporte à son nom propre, car s'il est vrai que le sujet de l'inconscient se constitue comme fonction du signifiant, c'est particulièrement vrai avec ce signifiant particulier qu'est le nom propre. Celui-ci se définit comme une structure sonore unique et "invariable", mais dont la matérialité, paradoxalement, renvoie à la lettre. Lacan soutient plus généralement que l'écriture devait être "là" avant les sons de la parole et n'a dû servir à transcrire ceux-ci que dans un second temps ("L’écriture attendait d’être phonétisée, et c’est dans la mesure où elle est vocalisée, phonétisée comme d’autres objets, qu’elle apprend - l’écriture - si je puis dire, à fonctionner comme écriture", S.IX, 20/12/1961). Par ailleurs il rappelle que les noms ne sont pas seulement composés de lettres, mais que les lettres aussi ont des noms (très clairement en grec ancien, par exemple), qui renvoient eux-mêmes à des objets (très clairement avec les idéogrammes égyptiens). C'est justement pareille référence à l'objet, implicitement et originellement, qui serait en jeu dans le caractère indélébile et intraduisible du nom propre.


"Qu'est-ce qu'il y a de plus détruit, de plus effacé qu'un objet ? Si c'est de l'objet que le trait surgit, c'est quelque chose de l'objet que le trait retient: justement son unicité. L'effacement, la destruction absolue: de toutes ses autres émergences, de tous ses autres prolongements, de tous ses autres appendices, de tout ce qu'il peut y avoir de ramifié, de palpitant. Eh bien, ce rapport de l'objet à la naissance de quelque chose qui s'appelle ici le signe, pour autant qu'il nous intéresse dans la naissance du signifiant, c'est bien là autour de quoi nous sommes arrêtés, et autour de quoi il n'est pas sans promesse que nous ayons fait, si l'on peut dire, une découverte, car je crois que c'en est une : cette indication qu'il y a, disons dans un temps, un temps repérable, historiquement défini, un moment où quelque chose est là pour être lu, lu avec du langage, quand il n'y a pas d'écriture encore. Et c'est par le renversement de ce rapport, et de ce rapport de lecture du signe, que peut naître ensuite l'écriture pour autant qu'elle peut servir à connoter la phonématisation. Mais il apparaît à ce niveau que justement le nom propre, en tant qu'il spécifie comme tel l'enracinement du sujet, est plus spécialement lié qu'un autre, non pas à la phonétisation comme telle, à la structure du langage, mais à ce qui déjà dans le langage est prêt, si l’on peut dire, à recevoir cette information du trait. Si le nom propre en porte encore - jusque pour nous et dans notre usage - la trace sous cette forme que d’un langage à l’autre il ne se traduit pas, puisqu’il se transpose simplement, il se transfère."
LACAN, S.IX, 10/01/1962

Répétition, Sujet, Trait unaire, Signifiant, 1961

L'inconscient conçu comme trame signifiante conforte le sujet dans une sorte d'autonomie et de permanence paradoxales, non parce qu'il serait maître de ce qui s'y "trame", mais parce que son identité fait référence à un signifiant unique et indestructible, le "trait unaire", dont la fonction, dit Lacan est d'être le support de la différence, de la distinction, de l'altérité. Ce trait est élidé bien entendu, refoulé, mais c'est lui qui se manifeste en creux dans l'automatisme de répétition, par exemple la formation symptomatique que l'analyse met à jour. C'est lui qui est désigné, faute d'être nommé, par le cycle concerné. Il est la mémoire du trauma originel sous la forme d'un comportement obstiné. Si ancré que puisse être ce comportement dans l'individualité vivante, c'est toujours le signifiant refoulé qui conduit le bal... et qui mène le sujet par le bout du nez. Ce sujet qui justement se situe dans un ente-deux entre la corporalité et la fonction signifiante, fonction qui le constitue comme tel  (parlant et désirant) mais avec laquelle il ne se confond pas.


"Pourquoi est-ce que cette année j'ai cru devoir partir non pas de Platon même - pour ne point parler des autres - mais aussi bien pas de Kant, pas de Hegel, mais de Descartes ? C'est justement pour désigner que ce dont il s'agit, là où est le problème de l'inconscient pour nous, c'est de l'autonomie du sujet pour autant qu'elle n'est pas seulement préservée, qu'elle est accentuée comme jamais elle ne le fut dans notre champ, et précisément de ce paradoxe : que ces cheminements que nous y découvrons ne sont point concevables, si à proprement parler ce n'est le sujet qui en est le guide, et de façon d'autant plus sûre que c'est sans le savoir, sans en être complice si je puis dire, conscius : parce qu'il ne peut progresser vers rien, ni en rien, qu'il ne le repère qu'après coup, car rien qui ne soit par lui engendré, justement, qu'à mesure de le méconnaître d'abord. C'est ceci, qui distingue le champ de l'inconscient, tel qu'il nous est révélé par Freud : il est lui-même impossible à formaliser, à formuler, si nous ne voyons pas qu'à tout instant il n'est concevable qu'à y voir - et de la façon la plus évidente et sensible - préservée cette autonomie du sujet, je veux dire ce par quoi le sujet en aucun cas ne saurait être réduit à un rêve du monde. De cette permanence du sujet, je vous montre la référence et non pas la présence, car cette présence ne pourra être cernée qu'en fonction de cette référence. Je vous l’ai démontrée, désignée la dernière fois dans ce trait unaire, dans cette fonction du « bâton » comme  figure de l’ 1  en tant qu’il n’est que trait distinctif, trait justement d’autant plus distinctif qu’en est effacé presque tout ce qui le distingue, sauf d’être un trait, en accentuant ce fait que plus il est semblable, plus il fonctionne, je ne dis point comme signe, mais comme support de la différence."
LACAN, S.IX, 13/12/1961
""Le paradoxe de l’automatisme de répétition, c’est que vous voyez surgir un cycle de comportement, inscriptible comme tel dans les termes d’une résolution de tension du couple donc « besoin-satisfaction », et que néanmoins, quelle que soit la fonction intéressée dans ce cycle - si charnelle que vous la supposiez - il n’en reste pas moins que ce qu’elle veut dire en tant qu’automatisme de répétition, c’est qu’elle est là pour faire surgir, pour rappeler, pour faire insister, quelque chose qui n’est rien d’autre en son essence qu’un signifiant, désignable par sa fonction, et spécialement sous cette face, qu’elle introduit dans le cycle de ses répétitions - toujours les mêmes en leur essence, et donc concernant quelque chose qui est toujours la même chose – qu’elle y introduit la différence, la distinction, l’unicité."
LACAN, S.IX, 20/12/1961

Symbolique, Structure, RSI, Inconscient, FREUD, 1961

La structure est une propriété du registre symbolique, et c'est à ce titre qu'elle concerne en propre l'inconscient, soit le champ de l'expérience freudienne. Ce n'est point l'affubler d'une dimension ontologique que de nouer ce symbolique aux deux autres registres que sont l'imaginaire et le réel, mais bien l'attester comme une dit-mension essentielle du Sujet.


"[La structure] c’est ce que nous avons introduit nommément comme spécification, registre du symbolique. Si nous le distinguons de l’imaginaire et du réel, ce registre du symbolique, il ne s’agit pas d’une définition ontologique : ce ne sont pas ici des champs de l’être que je sépare. Si à partir d’un certain moment - et justement celui de la naissance de ces séminaires - j’ai cru devoir faire entrer en jeu cette triade du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel, c’est pour autant que ce tiers élément, qui n’était point jusque là dans notre expérience suffisamment discerné comme tel, est exactement à mes yeux ce qui est constitué exactement par ce fait de la révélation d’un champ d’expérience. Et pour ôter toute ambiguïté à ce terme - il s’agit de l’expérience freudienne - je dirai, d’un champ d’« expériment » : je veux dire qu’il ne s’agit pas d’Erlebnis [expérience vécue]."
LACAN, S.IX, 13/12/1961