LACAN-LEXICON, Inconscient, Répétition, Sujet, Trauma, 1964

Si le sujet est le sujet du signifiant, et si le signifiant est constitué en “batterie” — un ensemble au sens mathématique du terme, par opposition à la suite indéfinie des nombres — alors le sujet est pris dans une structure fermée. Ses “stratégies” sont déterminées par la logique interne de ce réseau synchronique, qui produit dans le temps des effets “préférentiels” de retours et de répétitions (c'est l’automaton d’Aristote). Quand le sujet parle, il croit construire librement sa syntaxe (le fil de son récit), mais cette syntaxe — au niveau préconscient — est orientée par des “réserves inconscientes” (au sens de "réserves d'Indiens" précise Lacan !) qui déterminent ce qu’il peut dire ou pas. En particulier, lorsqu’il raconte son histoire (la “mémorialisation”), il se rapproche fatalement d’un noyau inconscient : la zone que Freud décrivait comme celle de la “résistance”, où le discours se resserre, devient répétitif ou se bloque. Cette résistance n’est donc pas celle d’un “moi” intentionnel, mais celle du discours lui-même, qui bute sur ce qu’il ne peut symboliser. Ce noyau, ou ce réel, il nous est présenté par la psychanalyse comme le point traumatique, ce qui ne s’intègre pas dans le récit, mais qui revient toujours sous une autre forme. Structurellement, le sujet est divisé : coupé par le signifiant, il est aussi séparé du réel, qui, lorsqu’il surgit (la tuché, la rencontre), se présente toujours comme “malvenu”, à contretemps. Ce décalage — ce “trop” ou “trop peu” — est le moteur du désir et de la répétition. Ainsi, dans la “scène primitive” comme dans la sexualité en général, quelque chose ne “colle pas” : l’expérience est toujours marquée d’un défaut, d’un ratage originaire. C’est ce caractère d’emblée factice du rapport sexuel qui en fait, pour Lacan, le lieu par excellence du réel.


"Ce noyau, je vous l’ai dit, nous apparaît d’abord comme devant être désigné comme du réel, du réel en tant que l’identité de perception est sa règle... C’est pourquoi il est nécessaire que nous fondions, que nous insérions, cette répétition dans cette schize même, qui se produit dans le sujet à l’endroit de la rencontre, dans cette dimension caractéristique de la découverte analytique et de notre expérience, qui nous fait appréhender, concevoir le réel, dans son incidence dialectique, comme originellement malvenu [δυστυχία dustuchia], et comprendre en quoi c’est par là qu’il se trouve le plus complice de la pulsion chez le sujet... – Pourquoi la scène primitive est-elle si traumatique ? – Pourquoi est-elle toujours trop tôt ou trop tard ? – Pourquoi le sujet y prend-il ou trop de plaisir, du moins est-ce ainsi que d’abord nous avons conçu la causalité traumatique de l’obsessionnel, ou trop peu comme chez l’hystérique ? – Pourquoi sommes-nous forcés ainsi de rappeler que la prétendue maturation des dits « instincts » est en quelque sorte transfilée, transpercée, transfixée, de « tychique » dirai-je (du mot τύχη [tuché]) ?... Pour l’instant, notre horizon, c’est ce qui apparaît de factice dans le rapport fondamental à la sexualité."
LACAN, S.XI, 19/02/1964

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