Ce dont il s’agit avec l’inconscient, c’est bien du sujet — le même sujet que celui du cogito cartésien, ce point de certitude inauguré par Descartes, mais désormais saisi dans son envers, du côté de l’inconscient. Lacan ne fait pas qu’une analogie : il montre que le sujet de Freud occupe la même place structurale que le sujet de Descartes, ce point d’appui "archimédique" d’où s’est fondée la science moderne — sauf qu’ici, ce point se trouve logé au cœur du non-savoir, du doute, de l’inconscient même. Freud, en faisant du rêve la voie royale de l’inconscient, découvre un champ où il y a effectivement « des pensées » (Gedanken) — pensées inconscientes, certes, mais structurées comme un réseau de signifiants. Ce champ n’est ni spatial ni psychologique : il s’étend « entre perception et conscience », dans une synchronie signifiante animée par "une diachronie constituante et orientée" dit Lacan. La formule « Wo es war, soll ich werden » ne signifie donc pas que le moi doive remplacer le ça, mais que le sujet doit advenir là où l’inconscient était. L’analyse a pour tâche de permettre cet avènement du sujet à travers la remémoration, laquelle n’est pas la réminiscence platonicienne d’une forme idéelle, mais un retour structurant, à travers la parole, vers ce lieu où le sujet peut se reconnaître comme effet du signifiant.
"Il peut paraître, il paraît - à juste titre - nouveau que je me sois référé au sujet quand il s’agit de l’inconscient. J’ai cru pourtant avoir pu vous faire sentir valablement que, de ce qu’il est du sujet, de ce qu’il est de l’inconscient, cela se passe à la même place : à cette place qui - quant au sujet - a eu par l’expérience de Descartes, une valeur qu’on pourrait dire « archimédique », si tant est que ç’ait été là le point d’appui qui ait permis cette toute autre direction qu’a prise la science, et nommément à partir de Newton, réduisant en quelque sorte à un point, le fondement de la certitude inaugurale...Il faut - pour situer, pour comprendre, les concepts freudiens - partir de ce fondement : que c’est le sujet qui est appelé [« Wo es war, sol ich werden »]... Il faut faire ce qu’on fait en le sachant et en le disant, c’est l’essentiel de la démarche scientifique. Alors, comme il s’agit du sujet, ceci donne sa vraie fonction à ce qu’on appelle, dans l’analyse, la remémoration : la remémoration n’est pas la « réminiscence » platonicienne, ce n’est pas le retour d’une «forme », d’une empreinte, d’un εἵδος [eidos] de beauté et de bien qui nous vient de l’au-delà, d’un Vrai suprême. C’est quelque chose qui nous vient des nécessités structurantes, de quelque chose d’humble, né au niveau des plus basses rencontres, et de toute la cohue parlante qui nous précède, de la structure du signifiant, d’un langage et de langues parlées de façon balbutiante, trébuchante, mais qui ne peuvent échapper à un type de nécessité."LACAN, S.XI, 29/01/1964
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