Nom, Signifiant, Lettre, Objet, 1962

Rien n'est plus indicatif, dans l'analyse, que la façon dont le patient se rapporte à son nom propre, car s'il est vrai que le sujet de l'inconscient se constitue comme fonction du signifiant, c'est particulièrement vrai avec ce signifiant particulier qu'est le nom propre. Celui-ci se définit comme une structure sonore unique et "invariable", mais dont la matérialité, paradoxalement, renvoie à la lettre. Lacan soutient plus généralement que l'écriture devait être "là" avant les sons de la parole et n'a dû servir à transcrire ceux-ci que dans un second temps ("L’écriture attendait d’être phonétisée, et c’est dans la mesure où elle est vocalisée, phonétisée comme d’autres objets, qu’elle apprend - l’écriture - si je puis dire, à fonctionner comme écriture", S.IX, 20/12/1961). Par ailleurs il rappelle que les noms ne sont pas seulement composés de lettres, mais que les lettres aussi ont des noms (très clairement en grec ancien, par exemple), qui renvoient eux-mêmes à des objets (très clairement avec les idéogrammes égyptiens). C'est justement pareille référence à l'objet, implicitement et originellement, qui serait en jeu dans le caractère indélébile et intraduisible du nom propre.


"Qu'est-ce qu'il y a de plus détruit, de plus effacé qu'un objet ? Si c'est de l'objet que le trait surgit, c'est quelque chose de l'objet que le trait retient: justement son unicité. L'effacement, la destruction absolue: de toutes ses autres émergences, de tous ses autres prolongements, de tous ses autres appendices, de tout ce qu'il peut y avoir de ramifié, de palpitant. Eh bien, ce rapport de l'objet à la naissance de quelque chose qui s'appelle ici le signe, pour autant qu'il nous intéresse dans la naissance du signifiant, c'est bien là autour de quoi nous sommes arrêtés, et autour de quoi il n'est pas sans promesse que nous ayons fait, si l'on peut dire, une découverte, car je crois que c'en est une : cette indication qu'il y a, disons dans un temps, un temps repérable, historiquement défini, un moment où quelque chose est là pour être lu, lu avec du langage, quand il n'y a pas d'écriture encore. Et c'est par le renversement de ce rapport, et de ce rapport de lecture du signe, que peut naître ensuite l'écriture pour autant qu'elle peut servir à connoter la phonématisation. Mais il apparaît à ce niveau que justement le nom propre, en tant qu'il spécifie comme tel l'enracinement du sujet, est plus spécialement lié qu'un autre, non pas à la phonétisation comme telle, à la structure du langage, mais à ce qui déjà dans le langage est prêt, si l’on peut dire, à recevoir cette information du trait. Si le nom propre en porte encore - jusque pour nous et dans notre usage - la trace sous cette forme que d’un langage à l’autre il ne se traduit pas, puisqu’il se transpose simplement, il se transfère."
LACAN, S.IX, 10/01/1962

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire