On sait que le "je pense donc je suis" de Descartes n'a rien d'une séquence logique (même s'il s'inscrit dans un raisonnement), la phrase se prononce d'un souffle (un "je pensêtre"), et sa conclusion supposée, le "Je" se sachant être et sachant être soi, relève manifestement d'un apparence ou d'un leurre, au mieux d'une interrogation (un "peut-être je ?"). C'est bien le Je qui est mis en cause, voire élidé - dans une sorte de passage à l'acte, comme aveu d'un désir et d'un manque, dit Lacan -, et non le contenu de ses pensées, de sorte que la seule articulation logique à en tirer serait plutôt un "je pense et je ne suis". Car ce que Descartes suspend jusqu'au terme de sa démarche, c'est justement ce que Lacan appelle le "sujet-supposé-savoir", de manifester clairement, par l'appel à l'existence de Dieu, la primauté de la vérité sur le savoir. Cet ancrage - primaire ou premier - en l'Autre (ici en Dieu) s'effectue au moyen d'un trait signifiant nommé "unaire", dès lors qu'il ne se définit que d'être Un, susceptible à la fois de se substituer à tous et de les supporter tous. A l'échelle, historique, de la démarche cartésienne, de ce "passage à l'acte" (qui a tout d'un passage en force), le trait constitutif du sujet sera interprété, par la pensée philosophique (y compris par Descartes et surtout les cartésiens) et donc de façon inévitablement idéaliste, comme un trait premier de la pensée emprunté au divin.
"Je ne suis pas le premier ni le seul depuis toujours à avoir remarqué le trait de contrebande de l’introduction de ce « je » dans la conclusion : « Je pense, donc je suis »... Il est bien clair que ce « je » reste à l’état problématique et que jusqu’à la suivante démarche de Descartes, et nous allons voir laquelle, il n’y a aucune raison qu’il soit préservé de la remise en question totale que fait Descartes de tout le procès, par la mise en profil, pour les fondements de ce procès, de la fonction du Dieu trompeur... On ne voit aucunement comment ce doute a épargné ce « je » et le laisse donc, à proprement parler, dans une vacillation fondamentale, ce sur quoi je veux attirer votre attention... Le véritable sens de la première démarche cartésienne, c’est de s’articuler comme un : « Je pense et je ne suis » (...)Descartes n'a nulle part sa place dans la Phénoménologie de l'Esprit : il met en question le sujet lui-même et, malgré qu'il ne le sache pas, c'est du sujet supposé savoir qu'il s'agit. Ce n'est pas de se reconnaître dans ce dont l'esprit est capable qu'il s'agit pour nous, c'est du sujet lui-même comme acte inaugural qu'il est question. C'est, je crois, ce qui fait le prestige, ce qui fait la valeur de fascination, ce qui fait l'effet de tournant qu'a eu effectivement dans l'histoire cette démarche insensée de DESCARTES, c'est qu'elle a tous les caractères de ce que nous appelons dans notre vocabulaire un « passage à l'acte ». Le premier temps de la méditation cartésienne a le trait d'un passage à l'acte : il se situe au niveau de ce qu'a de nécessairement insuffisant, et en même temps nécessairement primordial, toute tentative ayant le rapport le plus radical, le plus originel au désir. Et la preuve : c'est bien ce à quoi il est conduit dans la démarche qui succède immédiatement... Le Dieu dont il s'agit ici, celui que fait entrer Descartes à ce point de sa thématique, est ce Dieu qui doit assurer la vérité de tout ce qui s'articule comme tel : c'est « le vrai du vrai », le garant que la vérité existe... Ce que nous trouvons à la limite de l'expérience cartésienne comme telle du sujet évanouissant, c'est la nécessité de ce garant, du trait de structure le plus simple, du trait unique si j'ose dire, absolument dépersonnalisé, non pas seulement de tout contenu subjectif, mais même de toute variation qui dépasse cet unique trait, de ce trait gui est Un d'être le trait unique."LACAN, S.IX, 22/11/1961
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