Lacan propose d'admettre que sa chienne "a la parole", dans la mesure où, pris du besoin d'exprimer une émotion, elle s'adresse effectivement à un "autre" bien identifié, en l'occurrence son maître ; pour autant, ajoute-il, elle n'a pas totalement accès au langage dans la mesure où, ce faisant, la chienne "ne me prend jamais pour un autre", autrement dit elle ne s'adresse jamais au-delà du "petit autre" présent au "grand Autre" du langage (ce qui implique déjà l'usage d'une langue). A contrario l'analysant, en position de sujet "pur parlant", s'adresse surtout au grand Autre, lieu même de son inconscient. Le gap entre le langage humain et le langage animal apparaît sur plan des capacités phonétiques si l'on considère, dans le cas du second, l'absence des consonnes occlusives, si emblématiques de l'ordre signifiant puisqu'elles n'existent que dans le temps d'une pure articulation, d'une différence (il est d'ailleurs impossible de les chanter, ce qui rapproche le langage animal du chant en général).
"Ma chienne a la parole sans aucun doute. Ceci est important, car cela ne veut pas dire qu’elle ait totalement le langage. La mesure dans laquelle elle a la parole sans avoir le rapport humain au langage est une question d’où il vaut la peine d’envisager le problème du « préverbal ». Qu’est-ce que fait ma chienne quand elle parle, à mon sens ? Je dis qu’elle parle, pourquoi ? Elle ne parle pas tout le temps : elle parle - contrairement à beaucoup d’humains - uniquement dans les moments où elle a besoin de parler. Elle a besoin de parler dans des moments d’intensité émotionnelle et de rapports à l’autre, à moi-même, et quelques autres personnes. La chose se manifeste par des sortes de petits couinements pharingaux. Cela ne se limite pas là... C’est qu’elle sait très bien que c’est moi qui suis là, elle ne me prend jamais pour un autre, contrairement à ce que toute votre expérience est là pour témoigner de ce qui se passe, dans la mesure où dans l’expérience analytique vous vous mettez dans les conditions d’avoir un sujet « pur parlant », si je puis m’exprimer ainsi, comme on dit « un pâté pur porc ». Le sujet « pur parlant » comme tel - c’est la naissance même de notre expérience - est amené, du fait de rester « pur parlant » à vous prendre toujours pour un autre. S’il y a quelque élément de progrès dans les voies où j’essaie de vous mener, c’est de vous montrer qu’à vous prendre pour un autre, le sujet vous met au niveau de l’Autre, avec un grand A. C’est justement cela qui manque à ma chienne : il n’y a pour elle que le petit autre. Pour le grand Autre, il ne semble pas que son rapport au langage lui en donne l’accès."LACAN, S.IX, 29/11/1961
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