Crime, Beauté, Création, Désir, SADE, 1960

Le crime, chez Sade, désigne cette limite où la nature se voit contestée dans ses propres lois (alternance de la corruption et de la génération) au profit d'une Loi nouvelle qui est celle de la création - ex nihilo donc, supra-naturelle - en tant qu'expression ultime du désir. Le crime, parangon d'un désir foncièrement transgressif et même subversif, emporte le monde, la nature et jusqu'à son divin créateur, pour se fixer sur un objet unique dans la sublimation, ici cette beauté incorruptible de la victime (parfaite, divinisée) immortelle dans la souffrance. Cette image-limite nous renvoie bien sûr à celle de la crucifixion, l'image de la souffrance infligé au dieu fait homme (ici culmine sans doute le fantasme sadique) mais aussi symbole de toute victoire sur la mort.

"Sade peut venir à formuler et à penser que par le crime, il est au pouvoir de l’homme qui l’assume de délivrer la nature des chaînes de ses propres lois. Car ses propres lois sont des chaînes... Telle est la visée de ce crime dont ce n’est pas pour rien qu’il est pour nous tellement un horizon de notre exploration du désir, et que ce soit à partir d’un crime originel que Freud ait dû tenter de reconstruire toute la généalogie de la loi... Ces frontières du « à partir de rien », du ex nihilo, c’est là vous dis-je que se tient nécessairement une pensée qui veut être rigoureusement athée... Aussi bien, pour illustrer que la pensée sadique se tient justement sur cette limite, rien n’est plus exemplaire que le fantasme fondamental dans Sade... Effectivement c’est bien un fantasme, où l’analyse montre clairement que le sujet détache un double de soi qu’il fait inaccessible à l’anéantissement, pour lui faire supporter ce qu’on doit appeler dans l’occasion, d’un terme emprunté au domaine de l’esthétique, « les jeux de la douleur ». Car c’est bien là de la même région qu’il s’agit, que celle où s’ébattent les phénomènes de l’esthétique, un certain espace libre... L’objet n’est là que comme pouvoir d’une souffrance qui n’est elle-même que le signifiant d’une limite, à savoir le point où elle est conçue comme une stase, comme quelque chose qui nous affirme que ce qui est ne peut pas rentrer dans cet anéantissement d’où il est sorti. Et c’est bien là cette limite que le christianisme a érigée à la place de tous les autres dieux, et sous la forme de cette image exemplaire tirant à elle secrètement tous les fils de notre désir, l’image de la crucifixion..." (S.VII, 01/06/1960)

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