Tragédie, Catharsis, Désir, Mort, 1960

Il semble que l'expérience psychanalytique et le théâtre tragique possèdent en commun une finalité cathartique : les termes d'abréaction, de décharge, etc., font écho à ce terme de catharsis défini par Aristote (voire par Hippocrate dans un sens explicitement médical) comme purgation (voire purification) des passions ; Aristote définissant donc la tragédie, propre à susciter les sentiments de crainte et de pitié, comme moyen d'accomplir cette catharsis. Plus fondamentalement encore, mais toujours liée à la catharsis, psychanalyse et tragédie sont originellement concernées par la question du désir. Dans l'Antigone de Sophocle, exemplairement, le spectateur (auditeur) est saisi (ému) avant toute chose par la beauté éclatante du personnage Antigone, dont l'image même semble concentrer la visée d'un désir énigmatique. En effet l'éclat fascinant et quasiment insoutenable d'Antigone est celui d'une image qui estompe toutes les autres, secondarise l'ordre même de l'imaginaire... et en même temps retire au désir tout objet. S'aveuglant lui-même, ce désir se confond alors avec la volonté intraitable d'accomplir un devoir sacré ; mais cette justice, Antigone devra la réaliser entre la vie et la mort, physiquement emmurée dans un tombeau (témoignant ainsi par son sort, et pour l'éternité, du crime commis contre son propre frère). Cette situation éternisante, "entre-deux", n'est pas sans rappeler la "seconde mort" infernale réservée par les héros sadiens à leurs victimes, ou encore la damnation désirée par Hamlet à l'encontre de son ennemi mortel (en vertu de quoi, à l'envers d'Antigone, lui-même ne peut rien décider).

"Nous allons voir dans Antigone, ce point de visée qui définit le désir, ce point de visée qui va vers une image centrale sans aucun doute, qui détient je ne sais quel mystère jusqu’ici inarticulable puisqu’il faisait ciller les yeux au moment qu’on la regardait, et qui pourtant, cette image, est bien là au centre de la tragédie... dans ce quelque chose de déroutant, au dernier terme, qu’a l’image de cette victime si terriblement volontaire. C’est du côté de cet attrait que nous devons chercher le vrai sens, le vrai mystère, la vraie portée de la tragédie... Par l’intermédiaire de la pitié et de la crainte, nous sommes purgés, purifiés de tout ce qui est de cet ordre, de cet ordre là que nous pouvons d’emblée, d’ores et déjà, reconnaître : c’est la série de l’imaginaire à proprement parler. Et si nous en sommes purgés par l’intermédiaire d’une image entre autres, c’est bien là où nous devons nous poser la question, quelle est alors la place occupée par cette image autour de laquelle toutes les autres semblent tout d’un coup s’évanouir, se déplier, se rabattre en quelque sorte ?" (S.VII, 25/05/1960)

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