Pulsion de mort, Création, Signifiant, Sublimation, SADE, 1960

La tendance à la répétition qui caractérise la pulsion va au-delà du simple retour à l'inanimé (asymptote du principe de plaisir), il est volonté comme telle de destruction, désir de détruire et de recommencer à nouveaux frais ce qui a été créé ex-nihilo à partir du signifiant (le "Verbe"). La pulsion de mort comme remise en cause globale du vivant n'est que le pendant du caractère global et systémique du signifiant lui-même. Ce n'est pas pour rien que le délire du héros sadien se présente comme une fiction créationniste, une fable des origines, de même que toute l'entreprise littéraire sadienne. La pulsion de mort, cette invention de Freud, possède également à son niveau un caractère de mythe nécessaire, à la hauteur d'une création sublimatoire ; et de même avec le concept lacanien de Chose, autre nom du Prochain (sur lequel s'acharne en vain le marquis) pour désigner la barrière de la jouissance. C'est pourquoi il faut se méfier de la pensée évolutionniste, selon Lacan, d'abord parce que la dimension de l'ex-nihilo est nécessaire au caractère historique de la pulsion, ensuite parce que seule la perspective créationniste, paradoxalement, permet de faire l'économie d'une intention personnelle divine (plutôt cette croyance est-elle implicite dans l'évolutionnisme !) à partir du moment où le commencement est imputable au signifiant. Et parce que l'origine de celui-ci est assumée, portant le nom de la Chose (ou de la Femme, dans l'amour courtois) désignant cet objet inatteignable du désir, du désir comme sexuel (non platonique).

"Si la pulsion de mort se présente bien, comme il est en effet exigible, en ce point de la pensée de Freud qu’elle soit articulée comme pulsion de destruction pour autant qu’elle met en cause tout ce qui existe comme tel, ce qu’elle est en somme, c’est également volonté de création à partir de rien, volonté de recommencement... Volonté d’autre chose pour autant que tout peut être mis en cause à partir de la fonction du signifiant, car il n’y a que pour autant qu’il y a la chaîne signifiante, que tout ce qui est implicite, immanent, existant dans la chaîne des événements naturels peut être considéré comme soumis, comme tel, à une pulsion dite de mort... Comme dans Sade, cette notion de la pulsion de mort comme telle est une sublimation créationniste. Elle est liée à cet élément structural qui fait que, dès lors que nous avons affaire à quelque chose, quoi que ce soit dans le monde, à quoi nous avons affaire sous la forme de la chaîne signifiante, il y a quelque part - mais assurément hors du monde de la nature - quelque chose que nous devons, que nous ne pouvons que poser comme l’au-delà de cette chaîne signifiante, l’ex nihilo sur lequel elle se pose, elle se fonde, elle s’articule comme telle... D’où sort cette notion, cette perspective du champ que je vous appelle le champ de la Chose, – ce champ où se projette quelque chose au-delà, à l’origine de la chaîne signifiante, – ce lieu où est mis en cause tout ce qui peut être, ce lieu de l’être où se produit ce que nous avons appelé le lieu élu de la sublimation... Et c’est pour cela que le premier exemple que je vous ai donné dans mon énoncé cette année, a été emprunté à ce qu’on appelle cette élaboration de l’amour courtois. Avouez que placer en ce point d’au-delà, une créature comme la femme est vraiment une idée incroyable ! Si cette idée incroyable a en effet pu venir - de mettre la femme à cette place, à la place de l’être - ça n’est bien évidemment pas en tant que « femme » mais en tant qu’« objet du désir ». Et c’est précisément ce qui fait tous les paradoxes de ce fameux amour courtois, comment tout ce que nous avons dans les attestations de cet amour courtois, comporte cette fièvre, voire cette frénésie si manifestement coextensive au domaine du désir, désir vécu, et d’un désir qui n’a rien de platonique." (S.VII, 04/05/1960)

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