"Freud lui-même s’arrête et recule avec une horreur motivée devant le « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » au sens propre où, comme il l’articule, ce commandement lui apparaît inhumain... De quoi faisons-nous état ? Mais de l’agressivité inconsciente qu’elle contient... Ce n’est donc pas là une proposition originale que je vous fais en vous disant que le recul devant le « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est la même chose que la barrière devant la jouissance. Ce ne sont pas deux contraires, deux opposés... Je recule à aimer mon prochain comme moi-même, pour autant sans doute qu’à cet horizon il y a quelque chose qui participe de je ne sais quelle intolérable cruauté... Je vous ai parlé, dans un temps, du pot de moutarde. Ce que je veux vous montrer par ce dessin de trois pots... c’est en tant qu’ils sont les mêmes qu’ils pourraient envelopper strictement le même vide... Ce « prochain », il a précisément sans doute toute cette méchanceté dont parle Freud, mais qu’elle n’est autre que celle-là même devant laquelle je recule en moi–même, et que l’aimer c’est vraiment l’aimer comme un moi-même, mais du même coup c’est nécessairement m’avancer dans quelque cruauté." (S.VII, 30/03/1960)
Prochain, Amour, Jouissance, Agressivité, 1960
La réticence à "aimer son Prochain comme soi-même" et la barrière devant la jouissance sont une seule et même chose, elles nous préservent de la même inhumanité. Freud révèle l'agressivité surmoïque contenue dans la formule biblique, le caractère illimité et véritablement sans loi du désir destructeur qu'elle implique. Appel à la destruction comme on dirait appel du vide, puisque ce "prochain" ne pourrait se tenir qu'au plus proche de moi, au coeur de ce "moi-même" tellement redondant qu'il confine au vide sidéral, d'où autrui ne pourrait être que puissamment refoulé. Aimer son Prochain comme soi-même : encore faudrait-il s'aimer soi-même ! Ne suis-je pas suffisamment informé de la cruauté insondable qui m'habite, retournée contre moi-même, pour peu que j'oublie un instant la belle image dont je me pare ? Or l'image intacte d'autrui, entendons comme semblable (puisque décidément le Prochain trop proche reste irreprésentable) nous est nécessaire dans notre représentation, à distance de représentation peut-on dire, puisque nous lui devons la formation de notre moi. Voilà pourquoi, d'un même mouvement, nous reculons devant l'amour du Prochain aussi bien que devant sa jouissance, pour préserver la figure - en quelque sorte "utilitaire" - du semblable.
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