Phallus, Signifiant, Manque, Désir, 1961

Le symbole Φ désigne la place du signifiant manquant ; manquant en tant que verbal (d'où le terme privilégié de symbole), il est donc le signifiant du manque, le signifiant pur du désir. Même si le système de la langue comme tel ne manque de rien et ne comporte aucun inexprimable a priori (car tout ce qui est signifié par le sujet ne peut l'être d'abord, traduit et reçu, qu'au lieu de l'Autre), ce système n'existe qu'à travers la parole de sujets qui manquent nécessairement à dire, et s'abord à se dire, puisqu'un sujet ne peut s'introduire dans le système et l'utiliser qu'à s'y faire représenter par un signifiant toujours changeant. Subjectivement le manque de signifiant devient sensible avec la question, "qui suis-je ?", quand elle porte le doute sur l'être du sujet et ne trouve de réponse que métaphorique, à la fois réductrice et idéalisante, par exemple "je (ne) suis (qu')un enfant". Or par cette réponse (consciente) la question elle-même est élidée, reportée au champ de l'Autre (inconscient), sous la forme d'un "que veux-tu ?". C’est là qu’intervient le manque de signifiant dont il s’agit dans le Φ du phallus, comme la signification même, toujours énigmatique, du désir. En même temps un tel signifiant, quoique voilé et absent, garantit que le système signifiant fonctionne et signifie effectivement, n'est pas une machine bornée ou incontrôlable. Le phallus reste indicible, non verbal dans son principe même, et ne saurait apparaître "lui-même" en tant que symbole, sans que le système ne se bloque (sauf à se projeter dans un second temps, dans l'imaginaire, sur l'organe lui-même présent ou absent, autour de quoi s'élaborent les effets symptomatiques du complexe de castration proprement dit).


"Le rapport au signifiant est tel que si nous n’avons affaire, au niveau de la chaîne inconsciente, qu’à des signes, et si c’est d’une chaîne de signes qu’il s’agit, la conséquence est qu’il n’y a aucun arrêt dans le renvoi de chacun de ces signes à celui qui lui succède. Car le propre de la communication par signes est de faire de cet autre même à qui je m’adresse - pour l’inciter à viser de la même façon que moi l’objet auquel se rapporte ce signe - un signe. L’imposition du signifiant au sujet le fige dans la position propre du signifiant. Ce dont il s’agit, c’est bien de trouver le garant de cette chaîne, qui de transfert de sens de signe en signe, doit s’arrêter quelque part, ce qui nous donne le signe que nous sommes en droit d’opérer avec des signes. C’est là que surgit le privilège de Φ dans tous les signifiants... (...) Qu’est-ce à dire ? C’est qu’après tout, de tous les signes possibles, est-ce que ce n’est pas celui qui réunit en lui-même le signe, à savoir à la fois le signe et le moyen d’action et la présence même, du désir comme tel ? C’est-à-dire qu’à le laisser venir au jour dans cette présence réelle, est-ce que ce n’est pas justement ce qui est de nature, non seulement à arrêter tout ce renvoi dans la chaîne des signes, mais même à les faire entrer dans je ne sais quelle ombre de néant. Du désir, il n’y a sans doute pas de signe plus sûr, à condition qu’il n’y ait plus rien que le désir. Entre ce signifiant du désir et toute la chaîne signifiante s’établit un rapport d’"ou bien... ou bien"..."
LACAN, S.VIII, 19/04/1961

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